« Les entreprises subissent la loi du plus fort »
Jean-Claude Volot estime que les sous-traitants sont à la merci des grands groupes. Il dresse pour nous un bilan de la création d'entreprises en 2010.
Je m'abonneJEAN-CLAUDE VOLOT, médiateur inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, président de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE)
Vous êtes, avant toute chose, entrepreneur, pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
Jean-Claude Volot: J'ai une formation d'ingénieur mais, très vite, j'ai compris que je ne voulais pas avoir un patron au-dessus de moi. J'ai donc racheté ma première société en 1973, j'avais 24 ans. Il s'agit de Dedienne, spécialisée dans les polymères complexes. Au total, j'ai créé, racheté et fusionné plus d'une vingtaine d'entreprises, toujours sous le nom Dedienne. Je suis un vrai serial entrepreneur ! J'aime créer et développer, mais je me lasse vite. Aujourd'hui, je suis président de Dedienne Aérospace, une société de 57 salariés dont le siège social est à Toulouse. C'est d'ailleurs ma carrière de chef d'entreprise qui me rend crédible dans mon rôle de médiateur.
En avril dernier, vous avez été nommé médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance. En quoi consiste votre mission
J.-C.V. : Je résous les conflits et débloque les situations entre les donneurs d'ordres et les sous-traitants. Plus largement, je peux être saisi par toutes les entreprises industrielles, des façonniers aux équipementiers en passant par les prestataires de service. J'ai également vocation à réformer certains textes législatifs. Par exemple, je pense qu'il faut mettre en place une vraie loi sur la propriété industrielle. C'est un sujet majeur pour les années à venir, afin de mieux protéger les innovations créées par les petites entreprises.
Quelle est la procédure pour saisir la médiation de la sous-traitance ?
J.-C.V. : Le médiateur peut intervenir dans le cadre d'une médiation individuelle ou collective, si plusieurs demandes de médiation sont convergentes. La première étape consiste à déposer un dossier en ligne sur le site Mediateur.industrie.gouv.fr, seule voie d'entrée possible. La médiation étudie alors l'admissibilité du dossier. En cas d'éligibilité, un médiateur régional prend contact avec l'entreprise dans les jours suivants afin de définir un schéma d'action avant de commencer le travail de médiation. La plupart du temps, il suffit de «réhumaniser» la relation entre donneurs d'ordres et sous-traitants, de renouer le dialogue, pour régler les conflits.
Problème typiquement français : l'insécurité fiscale. Les lois varient trop souvent, au gré des changements de gouvernement.
Combien de dossiers avez-vous traité depuis votre nomination ?
J.-C.V.: Cette question n'a pas vraiment de sens. Les journalistes sont habitués à dresser un bilan via cet indicateur depuis la création de la médiation du crédit. Mais, pour nous, c'est bien différent. Nous traitons beaucoup de médiations collectives. Tout simplement parce qu'un sous-traitant a rarement envie de monter seul au créneau face à son donneur d'ordres. C'est pour cette raison que nous les incitons à trouver d'autres entreprises dans la même situation, afin d'entamer une procédure collective qui assure, alors, leur anonymat. Mais si vous voulez des chiffres, sachez que, depuis avril 2010, la médiation a concerné 12 933 entreprises.
Vous évoquez la «maltraitance des sous-traitants». N'est-ce pas un terme un peu fort ?
J.-C.V. : Pas du tout. Depuis ma prise de fonction, je me rends compte que nous vivons dans un monde de non-droit. Les entreprises vivent dans une jungle où règne la loi du plus fort. Certaines méthodes ressemblent presque à du racket organisé ! Par exemple, la pratique du «quick saving» oblige certaines PME à verser de l'argent à un donneur d'ordres avant même de travailler avec lui !
Le fond du problème ne vient-il pas du rapport de force en faveur des donneurs d'ordres sur les sous-traitants ?
J.-C.V. : Je ne suis pas tout à fait d'accord. Il est vrai que les donneurs d'ordres ne sont pas irréprochables. Même ceux qui signent des chartes de bonne conduite. Le problème ? Ils se préoccupent de leur poids dans le chiffre d'affaires de leurs fournisseurs, au moment où leur activité diminue et où ils cherchent à se désengager auprès de tel ou tel sous-traitant. Toutefois, c'est aussi aux petites entreprises de se protéger elles-mêmes. Il faut qu'elles fassent plus d'efforts commerciaux pour démarcher de nouveaux clients pour baisser leur taux de dépendance. C'est possible, et ce quel que soit le secteur d'activité. Mais il faut mouiller sa chemise.
Au-delà de votre rôle de médiateur, vous êtes président de l'APCE depuis 2006. Quel bilan dressez-vous de 2010 ?
J.-C.V. : C'est une très belle année. Plus de 620 000 entreprises ont été créées en France, dont environ 360 000 sous le régime de l'auto-entrepreneur. Cela prouve que les Français ont le goût d'entreprendre.
Justement, l'auto-entrepreneuriat n'est-ce pas l'arbre qui cache la forêt ?
J.-C.V. : Ceux qui pensent cela n'ont vraiment rien compris. C'est vrai qu'il y a beaucoup de raisons différentes qui poussent les Français à devenir auto-entrepreneur : certains pour créer leur propre emploi, d'autres pour s'octroyer un complément de revenu, mais il y a également ceux qui ont un vrai projet d'entreprise et comptent se développer en SARL ou SA. Ce statut est la parfaite rencontre entre salariat et entrepreneuriat.
Le statut de l'Entreprise individuelle à responsabilité limité (EIRL), entré en vigueur au 1er janvier 2011, est ouvert aux jeunes, même mineurs...
J.-C.V. : C'est dans la logique des choses. Il y a déjà de nombreux adolescents qui ne suivent plus de cursus scolaire et ont un projet entrepreneurial. Sauf que c'est leurs parents qui doivent faire toutes les démarches administratives. Je pense notamment à une jeune fille qui a créé un site marchand spécialisé dans la vente d'objets pour furets. C'est son père qui est légalement le dirigeant. Mais c'est elle qui gère réellement l'entreprise. L'EIRL légalise seulement ce qui relève de la mutation de notre société. C'est donc une très bonne mesure.
Pour autant, 94 % des entreprises en France sont des TPE. Et elles peinent à grandir. Comment l'expliquez-vous ?
J.-C.V. : Seulement 4 % des créateurs d'entreprise français affirment vouloir transformer, un jour, leur société en grande entreprise. C'est peu. Mais c'est exactement le même pourcentage qu'aux Etats-Unis ! 99 % des sociétés françaises ont moins de 50 salariés. Comme dans tous les pays européens ! Il n'y a pas de fatalité en France. Par contre, il y a des freins qui ralentissent le développement. Par exemple, les dirigeants français ont une vision trop nationale de leur marché et limitent ainsi leur potentiel de développement. Il y a aussi un coût du travail trop élevé, notamment parce que la politique familiale française est supportée en majeure partie par les entreprises. Autre problème : l'insécurité fiscale. Les lois varient trop souvent, au gré des changements de gouvernement.
BIO express
1949
Né à Signéville (Haute-Marne).
1973
Première expérience entrepreneuriale avec la reprise de Dedienne.
1995
Création de Dedienne Aérospace, basée à Toulouse, dont il est toujours président.
2006
Nommé président de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE).
2010
Nommé médiateur inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance.