Le Pen / Macron : leurs mesures sur l'IS, le CICE et le temps de travail analysées
Publié par Mallory Lalanne et Amélie Moynot le | Mis à jour le
Les mesures annoncées par Emmanuel Macron et Marine Le Pen concernant les entreprises sont-elles réalistes ? L'Institut Montaigne, think tank libéral, et Terra Nova, plutôt classé à gauche, livrent leur analyse. Un programme épargné pour le premier, jugé insuffisamment chiffré pour la seconde.
Impôt sur les sociétés
Emmanuel Macron
Le candidat En Marche ! propose de réformer la fiscalité des entreprises, par une baisse du taux d'imposition sur les sociétés, de 33 % à 25 %.
Ce qu'en pensent les experts
Blanche Leridon, chargée d'études à l'Institut Montaigne, responsable de l'opération Présidentielle 2017 le grand décryptage, estime que la proposition d'Emmanuel Macron impliquerait "de nouvelles marges pour les entreprises et une perte de recettes fiscales de 11 milliards pour l'État. L'instauration de ce nouveau taux devra être votée en loi de finances, et se fera de manière progressive. Il est donc peu probable que le taux d'IS passe à 25% dès 2018. Si Emmanuel Macron ne précise pas de chronologie sur la mise en place de la baisse de l'IS, l'horizon 2020 paraît réaliste".
Djellil Bouzidi, coordinateur du pôle Économie de Terra Nova, estime pour sa part que "ce taux de 25% est réaliste. Il ne faut pas trop s'écarter de la moyenne européenne afin de ne pas créer de distorsion. Cette mesure ne concernerait pas les entreprises libérales, qui sont soumises à l'IR. Mais rien ne les empêche si elles exercent sous le statut d'EIRL de s'orienter vers une option qui leur permettrait de bénéficier d'un taux d'IS réduit", avance l'expert.
Marine Le Pen
La candidate du FN prévoit de maintenir le taux réduit de 15 % pour les TPE-PME (les conditions doivent encore être définies) et de créer un taux intermédiaire de 24 % pour les PME (les seuils de salariés et de chiffres d'affaires restent à préciser), au lieu de 33 %. Une baisse de neuf points qui vise à redonner 5,5 milliards d'euros aux entreprises. Une mesure qui s'inscrit, comme les autres, dans un cadre de sortie de l'Union Européenne et de la zone euro.
Ce qu'en pensent les experts
"Cette proposition n'a rien de révolutionnaire. Marine Le Pen ne fait que poursuivre une action déjà amorcée par le gouvernement précédent à travers la loi de finances pour 2017, explique Blanche Leridon, de l'Institut Montaigne. D'autant plus que cette loi va plus loin que ce que propose Marine Le Pen, puisque la baisse d'IS qu'elle propose concerne également les grandes entreprises. Chez Marine Le Pen, seules les TPE-PME sont concernées.". Pour l'institut, baisser le taux à 24 % coûterait " environ 2,8 milliards d'euros ".
Djellil Bouzidi, de Terra Nova, rappelle de son côté que "ce taux de 24% se rapproche de la moyenne européenne", mais que "l'impact de cette mesure serait marginal par rapport aux effets désastreux d'une sortie de l'Europe pour les entreprises''. Au-delà de la baisse de l'IS, l'expert souligne également qu'il est important "d'aider les PME à reconstituer leurs marges et à renforcer leurs fonds propres".
CICE
Emmanuel Macron
Il souhaite remplacer le CICE par un allègement de charges pérennes.
Ce qu'en pensent les experts :
Blanche Leridon, de l'Institut Montaigne, considère que le coût de cette mesure sera neutre pour les finances publiques. "La suppression du CICE permettra la réallocation de près de 22 Md€ à compter de 2018, un montant qu'Emmanuel Macron propose de redéployer pour financer des baisses de charge pérennes. La Sécurité sociale enregistrerait quant à elle un gain à peu près équivalent (autour de 22,8 milliards d'euros), du fait de l'augmentation de la CSG de 1,7 point", détaille l'experte.
Ces deux mesures, la réallocation du CICE et l'augmentation de la CSG, permettront de financer la suppression des cotisations salariales maladie et chômage ; la réduction des cotisations patronales de 10 points au niveau du SMIC, puis de façon dégressive jusqu'à 4 points à 1,6 SMIC et de 6 points jusqu'à 2,5 SMIC et, enfin, des mesures de pouvoir d'achat pour les fonctionnaires et les indépendants. Autre conséquence de cet allègement de charges : l'Institut Montaigne estime qu'il pourrait créer 30 000 emplois sur le quinquennat.
Pour Djellil Bouzidi, de Terra Nova, "la logique de transformer la mécanique du CICE en une baisse de charges dans un contexte global où les TPE et les PME souffrent d'un problème de profitabilité semble pertinente. Le CICE a d'ailleurs eu un impact sur l'emploi plus marqué que sur l'investissement".
Marine Le Pen
Marine Le Pen souhaite fusionner l'ensemble des dispositifs d'allègement de charges et transformer le CICE en allègement de charges. De quoi dégager 50 milliards d'euros au total pour les entreprises (20 milliards pour le seul CICE).
Ce qu'en pensent les experts
A première vue, cette mesure va dans le bon sens pour Djellil Bouzidi, de Terra Nova. "Pour améliorer la compétitivité des entreprises dans un contexte ouvert, il faut alléger la pression fiscale sur nos entreprises", estime celui qui, en revanche, s'interroge sur le chiffrage des 50 milliards.
Même réserve du côté de l'Institut Montaigne. "Marine Le Pen ne fait que redéployer des crédits existants, estime Blanche Leridon, sans préciser comment elle va s'y prendre". Pour l'experte, "il y a un enjeu temporel sur la transition - le CICE comme crédit d'impôt est appliqué sur l'année n-1, s'il est transformé en baisses de charges, il portera sur l'année en cours - mais la mesure ne bouleversera pas le fonctionnement actuel de l'économie".
Temps de travail
Emmanuel Macron
Emmanuel Macron envisage de maintenir la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, tout en accroissant les possibilités de dérogation au niveau de l'entreprise ou de la branche. Il suggère ainsi, par exemple, que les jeunes puissent travailler plus de 35 heures par semaine, tandis que les seniors ne travailleraient que 30 à 32 heures.
Ce qu'en pensent les experts
Une bonne mesure qui prendra du temps selon Blanche Leridon. "L'individualisation du temps de travail, avec maintien d'une durée légale, est un concept nouveau en France, précise Blanche Leridon. Sa mise en place passera par une réforme préalable du Code du Travail, elle-même précédée de négociations avec les partenaires sociaux". Si Emmanuel Macron souhaite procéder par ordonnance dès cet été, les changements ne seront pas instantanés. D'autant plus si les négociations sont réalisées au niveau des branches où les parties prenantes sont plus nombreuses.
"Cette réforme pourrait avoir des effets de long terme positifs sur la croissance potentielle et l'emploi. Elle permettrait, par exemple, d'inciter les entreprises à recruter des jeunes, et donc de diminuer le chômage pour cette catégorie de la population", précise l'experte.
Un avis partagé par Djellil Bouzidi de Terra Nova. " Le Code du travail actuel offre une protection aux salariés mais il reste rigide et peut pénaliser les embauches. Cette nouvelle approche va offrir plus de flexibilité et va permettre de renforcer le pouvoir de négociation des employeurs. Cette réforme pourrait donc avoir des effets de long terme positifs sur la croissance et l'emploi ".
Marine Le Pen
La candidate veut maintenir la durée légale du travail à 35 heures tout en envisageant la possibilité d'une négociation au niveau des branches professionnelles, à la condition que les salariés soient rémunérés pour le temps de travail effectué (37 heures payées 37, etc.)
Ce qu'en pensent les experts
Un paradoxe pour Blanche Leridon, de l'Institut Montaigne. "Marine Le Pen est l'une des premières à s'opposer à la loi El Khomri, qui va vers davantage de souplesse pour les entreprises. Pourtant elle propose simultanément d'accorder davantage de souplesse au niveau des branches", explique l'experte, qui par ailleurs, pour plus d'efficacité, préconise des accords plutôt au niveau des entreprises. Pour Terra Nova, "il n'y a pas de contrainte majeure au maintien des 35 heures. Emmanuel Macron avec son approche qui apporte de la flexibilité est la plus pertinente. Mais ce n'est pas la faille la plus grave au programme de Marine Le Pen", estime Djellil Bouzidi.
Visuels issus des documents de campagne des candidats