Illégale, la clause Molière peut-elle être encore appliquée?
Publié par Mallory Lalanne le | Mis à jour le
Plusieurs régions ont décidé de réserver leurs chantiers à des ouvriers parlant le français. Il s'agit pour ces acteurs d'assurer la bonne compréhension des consignes et de garantir la sécurité sur les chantiers. Si la légalité de cette mesure semble contestable, va-t-elle être pour autant retoquée?
La clause Molière, c'est-à-dire le fait d'imposer le français sur les chantiers, s'est invitée depuis quelques jours dans le débat électoral. Cinq régions ont en effet décidé d'adopter un plan destiné à favoriser l'accès des PME à la commande publique, à condition entre autres que le français soit pratiqué sur les chantiers.
Si cette idée est soutenue par les organisations professionnelles du secteur (Capeb et FFB) -elles mettent en avant des questions de sécurité et de lutte contre le travail clandestin-, elle fait grincer des dents Marianne Thyssen, commissaire européenne pour l'emploi.
80% des Français approuvent "clause Molière": pas un enjeu politicien mais de sécurité sur chantier! https://t.co/0i9ETtQWUJ via @Le_Figaro
- Jacques CHANUT (@chanutj) 21 mars 2017
Selon la commissaire, cette clause est sur le plan juridique "une discrimination contraire à la législation européenne, a-t-elle déclaré au Parisien, dimanche 19 mars 2017. Ce n'est pas par un repli sur soi que l'on peut régler les problèmes de l'emploi. Ce type de protectionnisme n'est pas dans l'intérêt" de la France.
La clause, bientôt retoquée?
Un avis que partage Céline Rojano, avocat en droit public au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel. Cette clause est, selon l'experte, contraire au principe de non-discrimination dans l'accès à la commande publique.
"L'argument de la sécurité du chantier et donc de l'intérêt général est louable mais il est difficilement tenable. Il faut justifier que la mesure n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Or, le fait d'imposer le français n'est pas la seule mesure à mettre en place pour assurer la sécurité des personnes évoluant sur les chantiers, soutient Céline Rojano. Il n'est d'ailleurs pas prouvé que la langue utilisée est la cause de problèmes ou d'accidents".
Cette clause pose par ailleurs, selon l'avocat, un problème sur l'exécution et l'application de sanctions. "Il est difficile d'imaginer qu'une administration ayant conclu un marché public puisse être sanctionnée. Les pénalités sont de façon générale appliquées en cas de retard dans la livraison d'un chantier. Seul le juge du référé précontractuel pourrait empêcher la signature d'un marché, mais il faudrait presque que les contrats précisent noir sur blanc que les entreprises sélectionnées doivent embaucher des personnes parlant le français. Or, ce n'est jamais le cas".
Céline Rojano rappelle également que la disposition n'est pas conforme avec la jurisprudence en vigueur, faisant référence à l'affaire néerlandaise qui oppose M.Trijber au collège échevinal d'Amsterdam. "La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé en octobre 2015 que le fait d'imposer une langue déterminée est contraire au droit communautaire. Difficile donc d'imaginer que cette mesure ne soit pas censurée par la Cour de justice et la commission européenne", poursuit l'avocat.
Même si la direction des affaires juridiques, qui a été saisie par le ministère de l'Économie et des Finances, rend un avis défavorable et conclu que la mesure est illégale, "les acteurs feront ce qu'ils souhaitent. Tant que le juge administratif ne censure pas l'acheteur public, il appliquera la clause", estime Céline Rojano. Il va donc falloir attendre pour connaître la légalité ou non de la clause Molière.
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