Quand les entrepreneuses battent en brèche les clichés
Publié par Amélie Moynot le - mis à jour à
Quels sont les clichés sur l'entrepreneuriat féminin qui perdurent ? Comment cela se passe en pratique ? Quels sont les freins à passer et les conseils à suivre pour réussir ? Sept entrepreneuses du digital témoignent.
Près de 80 % des femmes considèrent qu'être un homme ou une femme pour entreprendre n'est "plus un sujet". C'est du moins ce qui ressort d'une étude de CapGemini Consulting et la French Tech dévoilée lors de la Journée de la femme digitale, mardi 17 avril 2018.
Est-ce pour autant que tous les clichés traditionnellement rattachés à l'entrepreneuriat féminin ont disparu ? C'est ce que nous avons voulu savoir en interrogeant un panel d'intervenantes à l'événement, ayant pour point commun d'avoir sauté le pas de l'aventure entrepreneuriale, dans un univers connecté de près ou de loin au digital.
Dans la pratique, les clichés, d'après les entrepreneuses sollicitées, ont vécu. "On est tous différents. Être une femme est une particularité comme une autre, estime Lucie Basch, fondatrice de Too good to go, une appli dédiée à la lutte contre le gaspillage en mettant en relation les consommateurs et les commerçants pour leurs invendus. À chacun d'en tirer profit. La question est de savoir quels avantages j'ai à tirer d'être moi-même".
Importance de la rigueur et de l'exécution
Pour autant, en pratique, malgré toute la bonne volonté, quelques biais demeurent. "Je ne me suis pas heurtée aux clichés", témoigne Clémence Franc, cofondatrice de NovaGray, qui vise à améliorer le traitement par radiothérapie des personnes atteintes de cancer. La dirigeante met plus volontiers en avant un sujet : l'âge du porteur de projet.
Un potentiel frein dans un univers médical plutôt masculin et friand d'expertises, où la recherche -qui réclame du temps- est valorisée. "À nous, jeunes et jeunes femmes, de tourner cela en positif. Si vous montrez que vous êtes efficace, alors cela se passe bien", assure-t-elle. Sans compter que"lorsqu'on est une femme dans un milieu d'hommes, on sort plus facilement du lot, on est davantage soutenu".
Dans les faits, certains retards sont installés. "Je ne me suis jamais posé la question en tant que telle, raconte en se référant à l'étude Anaïs Barut, dirigeante de Damae Médical, société qui développe une technologie de dépistage du cancer de la peau. Après, force est de constater que dans l'entrepreneuriat tech, il y a moins de 20 % de femmes à la tête des sociétés. Ces deux pourcentages, le 80% et le 20%, sont peut-être à mettre en corrélation", estime celle pointant le fait qu'une nouvelle génération pourra, peut-être, contribuer à faire changer les choses.
Pour les entrepreneuses, reste un sujet du côté de la grossesse. C'est du moins ce que fait remarquer Alix de Sagazan, dirigeante d'AB Tasty, PME spécialisée dans les services marketing pour les entreprises, et mère de deux enfants. "Si vous avez un associé pour vous épauler quand vous n'êtes pas là, ça va", explique-t-elle. Si elle a eu cette possibilité, elle sait aussi que pour d'autres entrepreneuses seules, la gestion de ce congé s'est avérée plus délicate.
"Les problèmes sont les mêmes pour tout le monde"
De fait, les entrepreneuses interrogées disent ne pas avoir rencontré de freins particuliers autres que ceux liés à la création et au développement d'entreprise. "Des retards de développements, des questions dans la stratégie de déploiement, mais pas de point bloquant remettant en compte l'avenir de la société", détaille Clémence Franc.
"On peut rencontrer des difficultés qui ne sont pas liées à la position de femme. Les problèmes sont les mêmes pour tout le monde", enchérit Clémentine Piazza, fondatrice d'InMemori, qui propose un espace en ligne gratuit pour les familles endeuillées pour les aider à partager des informations sur les obsèques, des souvenirs et photos ou encore organiser des dons aux associations.
"Si on s'imagine des barrières, elles vont exister", renchérit Loubna Ksibi, cofondatrice de Meet My Mama, service de restauration et traiteur travaillant avec des femmes réfugiées et migrantes. À ses yeux, être une femme est "plutôt une force" dans un univers de l'événementiel et du marketing, où elles sont très présentes.
Reste que tout le monde ne part pas avec les mêmes armes au départ. Dans les cursus scientifiques, informatiques, les filles restent minoritaires. "Le problème se joue au niveau des parcours scolaires", rappelle Anaïs Barut, dessinant ainsi la question des représentations, qui conduit les jeunes filles à adopter telle ou telle voie parce qu'elles s'y projettent davantage.
Et que, d'un point de vue psychologique, les femmes ont tendance à se mettre elles-mêmes certaines barrières. "Beaucoup d'autocensure, une hyper exigence avec soi-même, un manque de confiance en soi et de projection", détaille Joséphine Bouchez, cofondatrice de Ticket for Change, qui propose des formations à l'entrepreneuriat et à l'intrapreneuriat.
Elle illustre d'ailleurs son propos avec sa propre expérience, et l'hésitation qu'elle a eue durant plusieurs semaines avant de répondre favorablement à son associé actuel qui lui proposait de rejoindre l'aventure. "J'avais du mal à me projeter", illustre-t-elle. Mais de remarquer aussi : "les hommes ont leurs propres freins, les femmes ont les leurs".
''Entrepreneurs, soyez plus bienveillants"
Reste, dans ce contexte, à mettre en oeuvre les bons leviers pour parvenir à développer et faire croître son entreprise. Et sur ce plan, les hommes auraient fort à faire de s'inspirer des entrepreneuses à succès ! Une idée ? "Être plus bienveillant car les clients nous le rendent cent fois", conseille Loubna Ksibi.
Pour d'autres, les conseils de réussite ne dépendent pas du porteur de projet, mais de l'envie d'entreprendre et de la capacité à mettre le maximum de chances de son côté pour le faire. "Le conseil, c'est de savoir s'entourer, recommande Clémence Franc. Quand on crée une entreprise, on n'a pas à tout savoir. L'idée étant de s'entourer des expertises appropriées".
Si la capacité à bien s'entourer est cruciale, reste à ne pas choisir des clones. "Allez chercher la différence et la diversité", recommande Clémentine Piazza. Dans l'équipe comme dans l'écosystème, l'entourage au sens plus large. ''C'est inconfortable mais si vous créez ça autour de vous, vous êtes plus ouvert, plus agile et plus créatif".
"Ne pas se lancer seul, et miser sur des personnes de culture, d'âge ou de genre différents", abonde Anaïs Barut, qui dénombre chez Damae, sur une quinzaine de personnes, un profil d'ingénieur, de chercheur et d'entrepreneur d'âges distincts.
"Mon conseil principal : allez-y ! encourage Lucie Basch. Parfois, on rechigne, on veut évaluer toutes les questions. Au démarrage, je ne pensais pas plus loin que les deux prochaines semaines. Heureusement, cela a changé depuis. Mais si j'avais eu conscience de tout, je n'y serais jamais allée..."
Une invitation à sauter le pas également lancée par Joséphine Bouchez. "Ce n'est pas parce qu'on ne se projette pas, qu'on n'en est pas capable. Plus on aura de modèles, plus on arrivera à se projeter et plus on osera". En définitive, "on perd le combat si on s'arrête sur la question [de genre]", conclut Clémence Franc.