Se reconvertir pour entreprendre
Publié par Stéphanie Gallo Triouleyre le | Mis à jour le
L'entrepreneuriat a le vent en poupe en France. Et encore plus depuis la tempête Covid... En 2020, le nombre des créations d'entreprise a explosé tous les records. Bouleversés dans leur quotidien, ces actifs de tout âge sont nombreux à avoir franchi le pas.
La crise sanitaire aurait pu décourager les plus frileux, les incitant à se réfugier dans le statut souvent plus confortable de salarié. En réalité, d'après l'Insee, près de 850 000 entreprises ont été créées en 2020, soit 35 000 de plus qu'en 2019... D'ailleurs, selon le baromètre 2021 de l'envie d'entreprendre des Français réalisé par OpinionWay, 21 % des Français déclarent avoir envie de créer ou de reprendre une entreprise. Un tiers d'entre eux affirme même avoir un projet bien préparé à court terme. Ce serait donc près de 7 % des actifs qui auraient un projet d'entrepreneuriat prêt à débuter dans les deux ans. " La Covid, le télétravail, la perte ou la maladie de proches, le stress... tout cela conduit aujourd'hui beaucoup de salariés à réfléchir au sens de leur travail ", observe Flavie Bâtisse. Conseillère en création d'entreprise à la Chambre de commerce et d'industrie de Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne, elle a noté depuis un an un afflux inhabituel de potentiels créateurs et repreneurs d'entreprise. " Tout le monde a été amené à travailler autrement : cela a permis d'enclencher le petit déclic qui pouvait faire défaut jusque-là ", ajoute-t-elle.
Un Français sur deux, interrogés début 2021 par Indeed, estimait ainsi que la période était propice à la réflexion sur de nouveaux projets professionnels. Mais si la pandémie a déclenché des vocations supplémentaires ces derniers mois, elle n'est évidemment pas l'unique catalyseur de ces milliers d'entrepreneurs qui ont fait le grand saut, ou s'apprêtent à le faire dès que possible. On parle volontiers des jeunes start-upper à succès enchaînant des levées de fonds fracassantes. Or, les quadra et quinqua réussissent aussi à se frayer un nouveau chemin dans l'entrepreneuriat. D'ailleurs, selon l'Insee, l'âge moyen des créateurs d'entreprises en 2020 était de 36 ans. Concernant la reprise d'entreprise, la moyenne passe à 45 ans, selon l'Observatoire national CRA 2019 de la transmission des TPE/PME.
Destin en main
Alors qu'est-ce qui pousse tous ces néo-entrepreneurs à quitter leur poste de salarié après 10, 15, 20 ans (et plus) de carrière ? En quelques mots : prendre leur destin en main. Les variations sont nombreuses et évidemment multiples en fonction du parcours de chacun. Cependant, elles tournent presque toutes autour du même thème : remonter sur le ring pour donner une nouvelle orientation à sa vie. Pour certains, il s'agit plus spécifiquement de se tourner vers des valeurs plus en adéquation avec leurs envies. " Cela arrive souvent suite à des transformations de son entreprise ou à des fusions/acquisitions. La nouvelle direction n'a plus forcément les mêmes façons de mener le développement et cela peut ne plus convenir, voire provoquer des frustrations importantes ", commente Flavie Bâtisse.
La coach en développement de carrière, Isabelle Cham (Sparklife Success), pointe d'autres moments propices à cette prise de conscience, comme la survenue d'événements marquants ou graves. C'est exactement le parcours qu'a connu Julia Néel Biz. La trentenaire avait envie de créer son entreprise depuis l'époque des bancs de l'Essec où elle avait appris ce qui deviendrait son métier : le conseil en stratégie. Elle laissera dans un coin de sa tête cette envie d'entreprendre, jusqu'à ce jour de fin 2018 où elle perdra un proche. " J'ai alors réfléchi au sens que je souhaitais donner à ma vie. Cette période a été extrêmement difficile mais elle m'a permis de prendre conscience de l'importance de la santé mentale et du potentiel d'innovations possibles dans ce secteur. Quelques mois plus tard, j'ai commencé à parler de mes envies, de mes idées. Rapidement, je me suis associée avec un ami de l'Essec et avec deux collègues de travail ", se souvient-elle.
Début 2021 est ainsi née Teale, plateforme digitale accompagnant les entreprises dans leurs actions de soutien à la santé mentale de leurs collaborateurs. " Tout n'est évidemment pas toujours rose, mais le sentiment d'apporter quelque chose d'utile à la société me permet vraiment de m'accomplir ", sourit la trentenaire.
C'est avec cette même volonté d'être plus responsables et de construire en accord avec leurs valeurs que d'autres entrepreneurs franchissent le pas. C'est le cas par exemple de Jacques Berger et Guillaume Lecomte, âgés respectivement de 56 et 47 ans. Après des carrières dans des PME ou ETI industrielles, ils ont désormais envie de passer à une nouvelle étape et recherchent, depuis quelques mois, une PME industrielle de plus de 30 salariés à reprendre en Auvergne-Rhône-Alpes. Après avoir scruté plus de 10 000 entreprises sur le marché de la reprise, ils sont actuellement en discussion avancée avec six d'entre elles. Ils espèrent une conclusion rapide. " En tant que dirigeants, nous prenions des décisions... Mais pas forcément en fonction de nos valeurs car nous n'étions pas réellement maîtres à bord ", insistent les deux hommes, expliquant aspirer désormais à une plus grande liberté.
Rebondir face aux aléas
Rémi Agrain est plus jeune, 34 ans, mais lui aussi a décidé de prendre le taureau par les cornes. Il a créé, en 2015, Neoabita qui emploie quatre salariés. Elle est positionnée sur la construction de maisons à ossature bois. L'entrepreneur a découvert le concept lors d'un voyage à Londres. " J'avais une formation dans le bâtiment et une expérience déjà assez fournie. Je me suis dit qu'il y avait probablement là une opportunité à saisir, raconte Rémi Agrain. J'avais pourtant, peu de temps auparavant, décidé de tourner la page du monde de la construction car j'y constatais beaucoup trop de problèmes et de mauvaise organisation. Désormais, c'est différent. J'organise mon entreprise comme je le souhaite. "
Il y a aussi ceux qui ont dû rebondir suite à la perte de leur emploi. Christelle Linossier, par exemple, a décidé il y a dix ans de créer une entreprise industrielle suite à la fermeture de son entreprise. " Le groupe américain dont nous dépendions avait choisi de fermer le site. J'en étais alors la directrice. Je ne pouvais pas supporter de laisser échapper tout ce savoir-faire. " Elle crée donc Mac 3 en 2011, à l'âge de 40 ans, avec des associés (des ex-collègues) et un salarié, pour fabriquer des compresseurs d'air à destination du BTP et de l'industrie. Une décennie plus tard, le chiffre d'affaires est en croissance constante (6 millions d'euros en 2020), pour un effectif de 30 collaborateurs. " J'avais cette envie d'entreprendre depuis un bon moment en réalité mais je m'amusais dans mon job, j'avais un certain confort, avoue Christelle Linossier. Et puis, un jour, la vie vous donne un coup de pied aux fesses et vous pousse dans la bonne direction... "
L'entrepreneuriat peut aussi parfois représenter la seule option possible pour des seniors qui ont vu le monde du salariat leur fermer ses portes. Emmanuelle Fylla Saint-Eudes, 59 ans, en a fait l'amère expérience. Après avoir dû quitter ses précédentes fonctions, elle n'a eu d'autre choix pour gagner sa vie que de lancer son entreprise. Elle créé, il y a quatre ans, une marque de prêt-à-porter : Efyse. " A 55 ans, il était extrêmement compliqué de trouver un emploi salarié, personne ne voulait de moi. Aujourd'hui, j'en suis heureuse, je gagne ma vie grâce à mon entreprise ", partage-t-elle.
Et puis, bien sûr, il y a tout ceux qui ont eu envie, après un bon début de carrière dans le salariat, d'enfin se laisser guider professionnellement par leur passion. Éric Cordelle (ingénieur) et son épouse (avocate), ont ainsi tout quitté il y a 7 ans, pour créer leur distillerie artisanale de whisky dans le Vercors. " J'avais toujours été fasciné par le procédé de distillation ", se souvient l'ingénieur devenu artisan.
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Témoignage
" J'aurais au moins essayé "
Laure Mareau, présidente du Domaine du pavillon de Chavannes
" J'ai pu négocier une rupture conventionnelle et je bénéficie encore des aides de Pôle emploi. Cependant, il est évident que je vais moins bien gagner ma vie. J'ai quitté un poste de cadre parisienne avec des responsabilités... Peu importe, nous l'avons anticipé en famille. Si je ne m'étais pas lancée, je l'aurais regretté toute ma vie. " Et peu importe aussi si la vie, partagée entre le logement familial en région parisienne et sa nouvelle activité professionnelle près de Lyon, demande à Laure Mareau, 42 ans, un jeu d'équilibrisme de tous les instants. " L'organisation est complexe, mais je suis heureuse de cette reconversion. Et tant pis si cela ne fonctionne pas, j'aurais au moins essayé ! "
Quand elle décide de se lancer dans l'entrepreneuriat, Laure Mareau change aussi de branche professionnelle. " Il y a deux ans, j'ai fait un point sur ma vie. J'avais déjà une belle carrière derrière moi : je réalisais du trading de matières premières agricoles pour le compte d'un grand groupe. J'ai eu envie de reprendre le domaine viticole familial, dans le Beaujolais. Je ne pouvais pas accepter qu'il soit vendu au départ en retraite de mon père. " Après six mois de démarrage, accompagnée de près par son père, elle décide finalement de suivre une formation, un BTS viticulture et oenologie, à distance. Car même si elle baignait dans la culture viticole depuis son enfance, elle regrette de ne pas en maîtriser tous les aspects techniques. L'entrepreneure vient de terminer sa formation et prépare désormais ses examens.
Domaine du pavillon de Chavannes
Production de vins
Quincié-en-Beaujolais (Rhône)
Laure Mareau, présidente, 42 ans
SA > 0 salarié permanent
CA 2020 NC
Témoignage
" La franchise m'a apporté une vraie facilité "
Audrey Fournial, gérante d'Âge d'or services Brive-la-Gaillarde
Si certains se cherchent une vocation pendant des années avant de trouver leur voie, ce n'est vraiment pas le cas d'Audrey Fournial. Elle se souvient exactement de ce moment, alors qu'elle n'était qu'une jeune fille d'à peine 14 ans, qui l'a marquée pour le reste de ses jours. " J'ai réalisé un stage d'observation de troisième dans une maison de retraite médicalisée. Le contact est passé incroyablement bien avec les personnes âgées. En revanche, j'ai compris immédiatement que je ne voulais pas de cette vie pour mes parents ou mes grands-parents. Les moyens n'étaient vraiment pas à la hauteur. " Depuis, l'idée de créer sa propre structure - portant ses valeurs et sa vision de ce secteur -, ne l'a plus lâchée. Y compris lorsqu'elle a fait un petit bout de chemin dans l'immobilier. " Je gagnais bien ma vie, cela me permettait de mettre de l'argent de côté pour mon projet ", se souvient-elle.
En 2008, elle se décide finalement à franchir le pas. Elle crée son entreprise de services aux personnes âgées, accompagnée par la franchise Âge d'or services, sur le secteur de Brive-la-Gaillarde. " Ce secteur est très réglementé. Longtemps, seules des associations ont pu intervenir, les entreprises n'étaient vraiment pas vues d'un bon oeil par les collectivités locales. Pourtant, une entreprise rentable offre un service d'un bien meilleur niveau de service à nos personnes âgées que des associations asphyxiées par des budgets trop faibles... Au niveau réglementaire, il était trop compliqué de se lancer seule. Cela aurait été suicidaire. La franchise m'a apporté une vraie facilité. " Et d'insister néanmoins : " Mais franchise ou pas, c'est bien moi la patronne chez moi ! "
Âge d'or services
Service aux personnes âgées
Brive-la-Gaillarde (Corrèze)
Audrey Fournial, gérante, 39 ans
SARL > 43 salariés
CA 2020 NC