[Tribune] Recours à l'intérim ou au statut d'auto-entrepreneur: les juridictions n'hésitent plus à punir les employeurs
Publié par Sahand Saber le - mis à jour à
Avec le développement des nouvelles formes d'exercice professionnelle, les tribunaux sont appelés à protéger le contrat de travail. Si le recours à d'autres types d'engagement que le CDD et le CDI est fréquent, il peut emporter avec lui des conséquences pénales.
Intérim, statut de l'auto-entrepreneur... les dirigeants d'entreprise sont souvent tentés de faire appel à des contrats de travail temporaires. S'ils invoquent leur bonne foi en présentant les avantages -compétitivité et création d'emplois- que ces engagements assurent tant à l'entreprise qu'aux employés, qu'importe pour la loi. Les juridictions n'hésitent plus à punir les pratiques abusives de certains employeurs.
L'utilisation abusive du contrat d'intérim...
Dans une décision du 10 mai 2016 (Cass. Crim. 10 mai 2016 n°14-85.318), la Cour de cassation a rappelé les conditions présidant au recours à l'intérim : "il ne peut être fait appel aux salariés d'une entreprise de travail temporaire que pour des tâches non durables en cas de remplacement de salariés absents ou d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise utilisatrice, et non pour pourvoir durablement, comme en l'espèce, des emplois liés à l'activité normale et permanente de cette entreprise."
La Cour d'appel qui statuait sur le fond avait en effet constaté que la société en cause avait connu un accroissement de 20% du nombre de salariés temporaires, jusqu'à atteindre un taux de 50% dans certains secteurs de l'entreprise, si bien que " la société X... a érigé le recours massif à l'intérim en un mode habituel de gestion résultant d'une organisation délibérée et du détournement du cadre légal définissant les conditions de recours au travail temporaire. "
... et du statut de l'auto-entrepreneur
Plus récemment, dans un arrêt du 10 janvier 2017 (Cass. Crim. 10 janvier 2017, n°15-86.580), la Cour de cassation a reconnu l'intention frauduleuse d'une entreprise qui faisait travailler pour son compte trois personnes : deux sous le statut d'auto-entrepreneur et une sous le statut de stagiaire.
Les Juges du fonds avaient alors constaté que les auto-entrepreneurs occupaient en réalité des postes permanents et ne disposaient d'aucune autonomie pourtant inhérente à leur statut. Une telle situation devait dès lors être qualifiée en travail dissimulé. De fait, le travail accompli au sein de l'entreprise consistait en des tâches répétitives, selon des horaires établis et une rémunération constante. Enfin, un lien de subordination était nécessairement caractérisé en ce que l'entreprise était leur seul donneur d'ordre.
Plus encore, l'adoption de ces statuts assuraient à l'entreprise l'exonération du paiement des charges sociales, "soit en raison des conditions légales avantageuses sur ce plan accordé à l'action de formation des stagiaires, soit par le fait du transfert du paiement des charges sociales aux auto-entrepreneurs".
Ces arrêts viennent ici nous rappeler que les relations employeurs-salariés ne dépendent pas de la forme contractuelle convenue entre eux mais de la réalité de leurs relations. Le contrat de travail demeure ainsi le principe et le juge pénal y veille.
Pour rappel, la conclusion d'un contrat de mise à disposition, tel que le contrat d'intérim, ayant pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, est puni d'une amende de 3 750 euros. Quant à l'utilisation abusive du statut d'auto-entrepreneur qualifiable de travail dissimulé, elle est punie d'une peine d'emprisonnement de 3 ans et d'une amende de 45 000 euros.
L'auteur
Sahand Saber est avocat au Barreau de Paris et exerce dans le domaine du droit pénal des affaires.