Les prix trop bas peuvent-ils être interdits ?
Publié par Xavier Henry & André Bricogne, avocats, cabinet Henry & Bricogne le - mis à jour à
Une entreprise peut-elle se voir reprocher de ne pas vendre ses produits ou services assez cher ? La question peut paraître saugrenue. Pourtant, le droit de la concurrence voit parfois d'un mauvais oeil des entreprises pratiquant des prix trop bas et les sanctionne.
Une bonne affaire immédiate peut en cacher une mauvaise à terme. En effet, la vente à un prix anormalement bas par une entreprise peut avoir pour objectif ou pour conséquence d'exclure artificiellement la concurrence.
Or, lorsque la concurrence aura été exclue, il est plus que probable que les prix remontent au préjudice des clients, qu'ils soient consommateurs ou professionnels. C'est pourquoi le droit interdit parfois aux clients de faire de bonnes affaires !
Sont ainsi sanctionnés le fait pour une entreprise de revendre des produits à perte, celui de pratiquer des prix abusivement bas à l'égard de consommateurs ou encore d'avoir une politique de prix prédatrice. Ces différentes interdictions, qui peuvent paraître similaires, recouvrent cependant des réalités juridiques différentes.
Revendre à perte est interdit
L'article L. 442-5 du Code de commerce interdit à une entreprise de revendre un produit en-dessous du prix auquel elle l'a acheté sous peine d'une amende maximum de 75 000 euros pour une personne et 375 000 euros pour une personne morale.
En effet, revendre à perte n'est pas rationnel. Une entreprise n'a en effet pas pour finalité de perdre de l'argent et récupérera probablement sa marge sur d'autres produits si bien que le client n'aura pas été gagnant.
La loi prévoit néanmoins des exceptions (ventes motivées par la cessation ou le changement d'une activité commerciale, de produits saisonniers pendant la période terminale de la saison des ventes et entre deux saisons de vente, de produits démodés ou dépassés techniquement, etc.).
L'interdiction de revente à perte s'applique aux produits (et non aux services) revendus en l'état à des professionnels comme à des consommateurs et non pas aux produits fabriqués ou transformés puis vendus par la même entreprise.
Une offre de prix au consommateur ne doit pas être abusivement basse
L'article L. 420-5 al. 1 du Code de commerce interdit les offres ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas lorsque cette pratique a pour objet ou pour effet d'éliminer la concurrence. Le prix abusivement bas se distingue de l'interdiction de la revente à perte à plusieurs égards. Cette interdiction concerne la vente de service et de produits fabriqués (et non ceux revendus en l'état à l'exception des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels et des vidéogrammes destinés à l'usage privé du public).
Elle n'est interdite que dans la mesure où l'offre ou la pratique de prix est à destination des consommateurs. L'interdiction ne s'applique donc pas lorsque les clients concernés sont des professionnels. Par ailleurs, le caractère abusivement bas du prix de vente est déterminé par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation. Le prix abusivement bas est celui qui est inférieur, selon les cas envisagés, à la moyenne des coûts variables ou à la moyenne des coûts totaux (fixes et variables).
Enfin, ces offres ou pratiques de prix abusivement bas doivent avoir pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer ou de bloquer l'accès d'un marché à une entreprise ou un produit concurrent.
Une pratique de prix abusivement bas peut donner lieu à une amende lourde (au maximum 10 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise contrevenante). Des dommages et intérêts peuvent aussi être demandés par des entreprises concurrentes en raison du préjudice subi du fait de cette pratique.
Il est encore à noter que l'article L. 420-5 al. 2 comporte des dispositions spécifiques pour certains produits alimentaires dans les départements et collectivités d'outremer.
Une entreprise en position dominante ne peut pas pratiquer des prix prédateurs
L'interdiction des prix prédateurs, à la différence de la prohibition des prix abusivement bas, requiert que l'entreprise qui pratique de tels prix soit en position dominante sur un marché (c'est-à-dire qu'elle dispose en général d'une part de 50 % environ sur le marché en cause). Les prix prédateurs constituent alors un abus de cette position dominante. A la différence des prix abusivement bas, ils sont interdits tant à l'égard des consommateurs que des professionnels.
La définition et les sanctions d'un prix prédateur sont les mêmes que celles du prix abusivement bas. La prohibition des prix prédateurs repose sur la même idée que la prohibition des prix abusivement bas. Le risque d'une telle pratique est en effet qu'une entreprise déjà dominante ne parvienne à éradiquer la concurrence et, une fois celle-ci éliminée, augmente ses prix.
Une entreprise qui souhaite vendre à des prix (anormalement) bas doit donc s'interroger sur son droit à y procéder en vérifiant qu'elle n'enfreint pas la loi.
Pour en savoir plus
Xavier Henry et André Bricogne, avocats à la Cour. Henry & Bricogne est un cabinet d'avocats dédié au droit des affaires avec une très forte expertise en contrats commerciaux, droit de la concurrence, droit de la distribution et droit de la responsabilité, en conseil comme en contentieux. Le cabinet accompagne les entreprises françaises et internationales dans toutes leurs activités.