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Brexit : à quelle sauce vont être mangées les entreprises françaises et leurs salariés?

Publié par Mallory Lalanne le - mis à jour à

Remise en cause de la libre circulation des travailleurs, taxe pour couvrir les frais de santé, perte de droits à la retraite... les conséquences du Brexit vont être importantes et risquent de polluer la vie des entreprises françaises et de leurs salariés.

Cela faisait plusieurs années qu'il murissait son projet. En 2014, Jean-Viry Babel décide de lancer, dans une capitale britannique en plein emploi, la start-up Xrapid, spécialisée dans le diagnostic automatisé de maladie sur smartphone. Une PME plutôt florissante de 25 salariés, jusqu'au jour où il galère à recruter des doctorants en intelligence artificielle. Pour éviter la rupture, sa décision est radicale. En janvier 2017, il quitte Londres pour s'installer à Aix-en-Provence. "Le Brexit a modifié les règles de compétitivité et d'attractivité. En 2012, après les Jeux Olympiques, Londres était le centre du monde. Quand il se passait quelque chose, c'était à Londres ! L'excitation était totale. Mais le vote du 23 juin 2016 a fait retomber cette ambiance", se souvient Jean-Viry Babel, qui chapeaute également FrenchSquare, un incubateur francophone de Londres.

L'expérience de Jean-Viry Babel devient de plus en plus courante au Royaume-Uni. Xavier Louis, co-fondateur de Peak Labs, une application qui propose un entraînement cérébral, enregistre depuis un an une chute des candidatures, 30% de moins environ. "Les gens ne considèrent plus Londres pour s'installer", s'agace l'entrepreneur. Un problème qui pourrait s'accentuer ces prochains mois... car le Brexit remet en cause plusieurs choses. En premier lieu, la libre circulation des travailleurs.

S'il n'y a aujourd'hui aucun changement sur le statut des citoyens de l'union européenne résidant au Royaume-Uni tant qu'il fait partie de l'UE, les choses seront moins évidentes à partir du 29 mars 2019. Date à laquelle la Grande-Bretagne s'embarque dans une période de transition de 21 mois (jusqu'au 31 décembre 2020). Les personnes installées outre-Manche au 29 mars 2019 depuis plus de 5 ans pourront demander le statut de résident établi pour être traité sur un pied d'égalité complet avec les citoyens britanniques.

"Si les salariés français n'ont pas validé leurs cinq années à compter du 29 mars 2019, ils devront prouver qu'ils sont en cours d'acquisition du statut, et réclamer le statut de résident établi pour eux-mêmes et leur famille. Ce qui va leur permettre de continuer à cumuler les droits", explique Christine Pellissier, avocat associé au sein du cabinet Fidal.

Des contraintes administratives

Pour ceux et celles qui vont s'installer au Royaume-Uni pendant la période transitoire, la liberté d'installation sera maintenue. Seule particularité : ils devront s'enregistrer auprès de l'administration britannique (les modalités concrètes seront fixées par l'administration ultérieurement). Au-delà du 31 décembre 2020, les choses se compliquent légèrement. "Les citoyens de l'UE seront a priori considérés comme les autres étrangers. Ils auront besoin d'un visa et d'une autorisation de travail, même s'il ne faut pas exclure que des facilités soient octroyées dans les mois qui viennent", confie Vincent Roulet, avocat au sein du département droit social du cabinet Eversheds Sutherland.

Les débats législatifs actuels en Grande-Bretagne laissent en effet penser que le poids des démarches administratives reposeront sur les entreprises - obligées de demander l'autorisation d'embaucher un citoyen européen - plutôt que sur les travailleurs de l'UE eux-mêmes qui seraient dispensés de demander un permis de travail.

Protection sociale et retraite

Deuxième conséquence importante du Brexit : la remise en question de la protection sociale des salariés. Si les résidents actuels conserveront leur assurance santé, les modalités seront différentes pour les collaborateurs qui iront au Royaume-Uni après le Brexit et pour les commuters, ces salariés qui ont pour habitude de faire la navette entre l'île d'outre-Manche et le continent européen. "Ceux qui resteront plus de six mois devront probablement payer une taxe, dont le montant n'est pas encore connu, pour accéder au service national de santé britannique (NHS)", confie Vincent Roulet.

L'autre crainte des ressortissants repose sur le droit à la retraite. Une peur qui semble plus que légitime. Car, selon les experts, c'est sans doute sur ce point que les évolutions pourront être les plus importantes. Aujourd'hui, pour reconstituer sa pension de retraite, il y a la possibilité de prendre en compte les différentes cotisations des différents pays dans lesquels un individu a cotisé. "La solution pourra être différente demain, alerte Vincent Roulet. Les salariés qui ont connu des carrières internationales risquent de souffrir. Les périodes travaillées en Angleterre pourraient ne plus être prises en compte par les régimes français (et vice et versa). Mécaniquement les pensions de retraite risquent de baisser comme risquent de disparaître les facilités administratives au moment de la liquidation".

La question se pose également pour les régimes complémentaires de retraite et l'assurance vie. "Aura-t-on la possibilité de continuer à cotiser depuis la France en Angleterre?, s'interroge Vincent Roulet. Ces problèmes d'ordre pratique pourraient polluer la vie des entreprises et de leurs salariés".

De vrais changements pour la multi-activité

Le Brexit aura enfin des répercussions importantes pour les salariés qui travaillent dans plusieurs pays sans changer de résidence principale. Aujourd'hui, si un collaborateur alterne deux jours dans un pays, et deux jours dans un autre pays, qu'il ne modifie pas son lieu de résidence en France, et qu'il effectue au moins 25% de son temps de travail à Paris, le règlement communautaire accepte que le collaborateur continue à cotiser en France. "Demain, si le Royaume-Uni sort du règlement communautaire, il faut oublier le principe d'unicité", avance Christine Pellissier.

En d'autres termes, le salarié cotisera en France sur la part de son activité réalisée dans l'Hexagone. Si le salarié, qu'il soit anglais ou français, travaille 75% de son temps en France, sa rémunération sera taxée à hauteur de 75% en France. "Pourquoi un salarié anglais, qui travaille 75% de son temps en France, accepterait-il demain de payer ses cotisations sociales en France alors qu'elles sont beaucoup plus faibles en Angleterre et de se retrouver avec un net réduit", s'interroge Christine Pellissier. Le risque selon l'experte? Que les travailleurs se réorganisent pour ne plus être en multi-activité.

Que les salariés soient indifférents ou non au Brexit, nombre d'entre eux vont devoir s'interroger sur le futur du Royaume-Uni dès lors qu'ils concevront un projet de vie outre-Manche, ou qu'ils recevront une proposition de commuting.


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