Prospective : les maillons forts de la blockchain
Publié par Céline Tridon le - mis à jour à
Trop souvent - et à tort - limitée aux cryptomonnaies, la blockchain est un outil accessible qui permet de réinventer des métiers ou d'assurer de nouveaux services. Les entreprises s'en emparent, notamment pour répondre à des besoins de transparence. Dans un contexte général d'incertitudes, la technologie devient la pierre angulaire de toute transaction.
Les petits beurres Lu qui veulent certifier la provenance de leurs céréales, la marque de couches Joone qui veut s'assurer que la matière première de ses produits est bon pour la peau, bon pour la planète, les saumons Labeyrie qui prouvent leur origine, les montres suisses Hublot qui veillent à l'exactitude de leur processus de fabrication. Leur point commun ? Faire appel à la blockchain à différentes étapes de réalisation du produit pour accentuer l'idée de transparence. Une démarche de valeur dans une société où le flou n'a plus sa place.
" Il y a quelques années, la blockchain était encore un sujet pour les grandes entreprises, sur la base d'expérimentations. Aujourd'hui, ces grandes entreprises ne sont plus dans l'expérimentation, mais dans l'industrialisation. De plus, les PME veulent elles aussi explorer la possibilité d'implémenter des solutions blockchain ", observe Xavier Latil, CEO de The Blockchain Group, spécialisée dans le conseil.
Selon l'expert, l'année 2020 a été un grand tournant dans cet essor. Pas à cause de la Covid-19, mais parce que les médias ont beaucoup parlé de la blockchain, la reliant souvent aux cryptomonnaies. Or, le raccourci est bien trop rapide : les cryptommonaies ne sont qu'une application de la blockchain. Dans les faits, cette dernière a pris de l'ampleur, suscitant à la fois fantasmes et interrogations. Et de vraies applications business sont sorties, qui n'ont désormais rien à voir avec des expérimentations. " Les chefs d'entreprise ont vu qu'il peut y avoir un vrai gain grâce à la blockchain, ce n'est pas un simple feu de paille du marketing ", poursuit Xavier Latil.
Une expansion que confirme Jérôme Roussin, fondateur de la start-up Evoluchain : " Désormais, les dirigeants de petites entreprises l'utilisent pour pouvoir accélérer dans leur métier. La blockchain est en réelle voie de démocratisation pour toucher des problèmes quotidiens. On greffe cette technologie sur les systèmes existants pour rendre les choses plus efficaces. " C'est ce qu'a voulu faire Daniel Chassagnon, le président du groupe Swania, spécialisé dans les produits d'entretien et qui détient notamment la marque You. Il exprime une " volonté d'aller plus loin dans cette démarche de respect et de santé pour mieux rassurer le consommateur ".
En effet, depuis sa création, You se distingue comme la gamme de nettoyants écologiques réalisés à partir d'ingrédients les plus naturels possibles. Un discours dernièrement renforcé par une certification de ses composants. Bien plus que des mots, des preuves.
Inaltérable
You traque le moindre intrus dans ses compositions (allergène, perturbateur endocrinien, etc.). Pour cela, la marque a fait le choix de blockchainer ses lignes de production, afin de séquencer toutes les étapes de fabrication et ne perdre aucune information.
Des laboratoires indépendants sont chargés de tester, un par un, les lots de produits finis pour indiquer la présence, même infime, de substances non désirées. Pourquoi ne pas se contenter d'une certification ? " Car même si les labels rassurent, la plupart des Français ne savent pas forcément ce qu'il y a derrière. C'est pour cela ils continuent à vouloir lire les étiquettes, d'autant plus dans un contexte où il y a des suspicions et des crises à répétition. Nous nous sommes alors demandés ce que nous pouvons faire pour délivrer une information sûre, certaine et reposant sur une transparence absolue. C'est pourquoi les laboratoires rentrent leurs résultats dans un système blockchainé crypté et donc infalsifiable ", répond Daniel Chassagnon.
Le propre de la blockchain réside en effet dans sa sécurité, son caractère inaltérable. " C'est en quelque sorte un hôtel digitalisé avec un registre distribué entre plusieurs participants pour certifier et garantir à tous qui a dit quoi et qui a écrit quoi et à quel moment. Avec une logique d'automatisation qui va permettre de déclencher des processus, lorsque des conditions définies en avance dans les smart contracts sont réunies ", définit Jean-François Michalczyk, consultant blockchain chez IBM, en introduction d'un webinaire consacré au sujet.
Confiance
La blockchain répond ainsi à des enjeux stratégiques, qu'il s'agisse d'environnement, de régulation, de conformité, de besoin d'efficience ou de relais de croissance.
Elle responsabilise les parties prenantes. Et c'est ce qu'entreprend You dans sa volonté de regagner la confiance des consommateurs, qui accèdent à la composition détaillée des nettoyants via un QR code inscrit sur le packaging. L'entreprise peut se prévaloir de jouer cartes sur table.
Pour Sarah-Diane Eck, fondatrice de Surprise, application qui centralise les offres de fidélité via la blockchain, la période est propice aux axes d'innovation dans ce monde de plus en plus digitalisé. " Nous sommes en train de basculer dans une véritable conscience du manque de confiance. Il n'y a qu'à voir l'absence de transparence concernant nos données. Dans ce contexte, les sujets blockchain commencent à être mieux appréhendés, car il y a justement cette volonté de comprendre les changements de paradigmes que nous sommes en train de vivre ", estime-t-elle. Sa start-up a d'ailleurs été rachetée en février dernier par l'entreprise Skeepers, spécialiste des avis laissés sur le web.
Skeepers voit dans cette acquisition, et dans la blockchain, un moyen d'aller plus loin dans l'authentification des avis, ce qui rassure à la fois les marques et les consommateurs sur la véracité des propos. De plus, l'entreprise réfléchit à créer un système de récompenses à destination des consommateurs les plus actifs en matière de contenus, de commentaires, de réponses aux enquêtes de satisfaction. Soit un nouveau service à déployer pour élargir le business de la PME. " Celles qui utilisent la blockchain pour leur logique métier sont en train de creuser l'écart. Et c'est aussi important en B to B qu'en B to C ", prédit Jérôme Roussin. Cependant, aussi précieuse soit-elle, la blockchain reste dans les coulisses.
Témoignage
" La démocratisation de la blockchain doit la rendre moins énergivore "
Hortense Harang, présidente de Fleurs d'ici
Fleurs d'ici propose des fleurs de saison 100 % françaises et donc plus éthiques. Pour en assurer la traçabilité, la start-up s'appuie sur la blockchain. Pourquoi ce choix ? " Nous voulions mettre en place notre propre système de certification et écrire notre propre cahier des charges, qui devait être aussi large que ce que nous souhaitions mettre dans notre proposition de valeur ", répond la cofondatrice, Hortense Harang.
L'ambition de l'entrepreneure est d'étendre ce schéma à d'autres filières, pour devenir " un Amazon du commerce vertueux ". Mais misera-t-elle encore sur la blockchain pour y parvenir ? Le doute est de mise. " Nous sommes partis sur cette solution très tôt, avec l'espoir qu'elle deviendrait moins énergivore au fil des années... Ce qui n'est pas le cas. Ce n'est pas la technologie qui est en cause mais le nombre d'utilisateurs qui n'augmente pas assez vite. Toutefois, nous faisons le pari que ce problème n'en sera plus un avec la démocratisation et l'essor de la blockchain ", développe Hortense Harang.
Cette dernière reste convaincue du caractère révolutionnaire de la technologie. Le problème environnemental réglé, elle espère pouvoir l'exploiter encore davantage : donner une instruction à l'algorithme qui signale toute transaction avec Monsanto de l'un des partenaires par exemple, ou encore une facture d'électricité qui explose... Soit des dysfonctionnements dans la chaîne d'approvisionnement qui vont à l'encontre du cahier des charges de Fleurs d'ici. La start-up, en pleine phase d'accélération, compte donc déployer sa démarche à l'alimentaire en 2022, notamment auprès de la restauration collective qui recherche des partenaires pouvant authentifier les circuits courts.
Fleurs d'ici
Vente de fleurs en ligne Paris (6e)
Hortense Harang, présidente, 41 ans ; Chloé Rossignol, directrice générale, 35 ans
SAS > Création en 2017 > 20 salariés
CA 2020 : NC