Femme et chef d'entreprise dans la tech: une réalité plus rose que prévu ?
Publié par Barbara Prose le | Mis à jour le
A l'occasion de la Journée internationale des droit des Femmes, nous avons interrogé six dirigeantes qui ont monté leur entreprise dans le secteur des nouvelles technologies. Quels sont les obstacles à être femme et dirigeante dans un milieu traditionnellement masculin ? Bonne nouvelle: ça bouge !
En 2015, d'après le ministère de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes, les femmes étaient 38% à être chef d'entreprise en France. Pour le réseau Femmes Chefs d'Entreprise, il s'agirait plutôt de 25% en 2017. Une minorité, quoiqu'il en soit, face aux hommes.
Des chiffres qui suscitent la mise en place de nombreux projets pour donner envie aux femmes d'entreprendre partout dans le pays. Tables rondes autour de l'entrepreneuriat au féminin, journée de la femme digitale, articles sur les femmes d'affaires qui ont réussi... Et récemment, le documentaire "She Started It" de Nora Poggi et Insiyah Saeed. Les initiatives se multiplient pour montrer aux plus jeunes que les modèles de réussite au féminin existent et qu'il faut "oser". Un secteur en particulier est touché par le manque de représentation : celui des nouvelles technologies.
Pour vérifier si les mentalités ont évolué, nous avons interrogé six femmes chef d'entreprise dans la tech, dans des domaines d'activité variés (déménagement et stockage, mode, cuisine, e-commerce, vente de logiciel, relations presse) pour savoir quels sont, au quotidien, les obstacles qui s'opposent à elles.
La quête de parité : un impératif qui a ses avantages
Pour Laure Courty, fondatrice et p-dg de JeStocke.com, start-up spécialisée dans la location d'espaces de stockage entre particuliers basé à Bègles, à proximité de Bordeaux, il y a un avantage indéniable à être une femme. La raison : une forte quête de parité dans l'organisation d'événements professionnels : "C'est simple, si pour un événement, on recherche deux femmes chef d'entreprise à Bordeaux, on a plus de chances d'être invitées."
Une bonne chose, d'après elle : "Ça devrait être impossible d'organiser un événement sans représentation paritaire". Invitée à une table ronde à Bercy aux côtés d'Antoine Jouteau, p-dg de Leboncoin, elle indique n'être pas dupe : "Si j'ai eu cette chance, c'est parce que nous sommes encore une minorité sur ces sujets". Visible car minoritaire, donc.
Le sentiment est partagé par Alix de Sagazan, fondatrice de la très jeune mais déjà fructueuse martech parisienne Ab Tasty, qui commercialise un logiciel en Saas permettant de tester et de personnaliser le parcours client de tout type de site. "Être la seule femme dans la tech, je n'y vois que des avantages. On se sent soutenue", estime-t-elle.
L'ensemble des dirigeantes de start-up interviewées s'accorde d'ailleurs à dire que les femmes sont de mieux en mieux acceptées dans ce milieu. Et qu'on soit homme ou femme, la solidarité s'exerce avant tout entre créateurs d'entreprise pour faire face aux difficultés du quotidien et s'entraider.
L'obligation d'être plus solide que les hommes
Pour Natacha Favry, fondatrice et p-dg de LagenceRP, agence de communication digitale et de relations spécialisée dans les nouvelles technologies basée à Boulogne-Billancourt, l'évolution est en cours : "Quand je me suis lancée, avoir trente ans et être une femme, c'était compliqué, surtout dans la tech. Il y a un peu de condescendance, on t'explique trois ou quatre fois les choses plus techniques."
Elle reste toutefois optimiste vis-à-vis des relations avec les chefs d'entreprise au masculin : "Le paternalisme a tendance à être moindre car on a affaire à une nouvelle génération d'hommes", remarque-t-elle.
Anne-Christelle Pérochon, 26 ans et fondatrice de l'application Bim, permet à 200 restaurateurs parisiens triés sur le volet de proposer leurs réservations annulées à la dernière minute à de nouveaux clients. Elle a ressenti à deux reprises qu'être une femme pouvait être un frein : "Notre offre en Saas permet de proposer une table dans l'un des meilleurs restaurants de la ville aux 60 000 utilisateurs inscrits. J'avais besoin d'un associé capable de faire du développement mobile, du web et du backend. J'ai contacté une cinquantaine de développeurs via LinkedIn mais j'ai eu un taux de réponse très faible."
A force, elle identifie la source du problème. "Au moment des rendez-vous, ils s'attendaient à voir quelqu'un d'autre arriver", avoue-t-elle. La dirigeante finit par investir dans un prototype d'application auprès d'une agence de développeurs. Puis elle essaye de travailler avec un directeur technique, mais se pose la question de son autorité naturelle en tant que femme. "Le rapport hiérarchique est un tabou social à ce niveau. Recevoir des ordres de la part d'une femme peut être difficile à accepter pour certains hommes."
Un autre défi s'impose à elle au moment de sa première levée de fond. Face à un parterre composé à 95% d'hommes, elle réalise que sa jeunesse et son statut de femme posent problème: "J'ai perçu comme une forme de surprise. Certains ne me prenaient pas forcément au sérieux." Pour dénouer ce genre de situation, elle indique avoir développé des réflexes : "J'ai pris l'habitude de remettre les choses à plat à l'arrivée. J'arrive en disant : "Voilà qui je suis"".