L'immobilier d'entreprise : un poste à repenser
Publié par Olga Stancevic le | Mis à jour le
Entre incertitude économique et salariés en home-office, les entreprises doivent opérer de nouveaux arbitrages pour leurs bureaux. À côté des baux classiques, elles peuvent opter pour des solutions de gestion souple des espaces de travail.
Équipé de sa carte magnétique, Paul effectue son check-in dans l'espace de travail qu'il a réservé pour trois heures d'affilée. À l'issue de la séance, il fera son check-out et son employeur décomptera le temps passé de son budget central d'heures. Nous ne sommes pas dans un scénario futuriste, mais dans un schéma déjà existant au sein du groupe IWG, plus connu pour sa marque de bureaux Régus. "Nous lançons une nouvelle solution d'hypra-nomadisme pour les entreprises qui achètent un budget d'heures pour leurs employés, lesquels, équipés d'une carte, peuvent venir travailler n'importe où dans nos centres", explique Christophe Burckart, directeur général France d' IWG.
Une consommation de bureaux au forfait, avec une gestion externalisée et déléguée auprès d'un prestataire, à la manière d'un "cloud immobilier". Le secteur vit en effet une profonde mutation. À la faveur de la crise sanitaire, l'année 2020 a marqué un tournant dans l'immobilier de bureau, où rien ne sera plus jamais comme avant. Selon une étude du spécialiste de l'immobilier Knight Frank, rien qu'en Ile-de-France, le volume de bureaux vendus ou loués a reculé de 42 % en 2020 comparé à 2019. "Les entreprises ont eu à gérer l'urgence sanitaire et la poursuite de leur activité, explique David Bourla, directeur des études chez Knight Frank France. Elles n'ont pas pu se projeter sur le long terme en prenant de nouveaux locaux, et elles doivent repenser leur immobilier."
Nouvelles pratiques
Dès lors, chacun y est allé de sa méthode. "Certaines sociétés ont profité du contexte pour renégocier leurs baux avec des conditions plus favorables. Comme la demande de mètres carrés a baissé alors que l'offre augmentait, les propriétaires étaient plus enclins à des renégociations ou à des mesures telles que la participation aux travaux ou bien des franchises de loyer", observe David Bourla. L'immobilier est le deuxième plus gros poste de dépense des entreprises après les salaires, d'où la nécessité de le rationaliser par temps de pandémie. Ce qui a aussi conduit certaines entreprises à réduire leur espace en sous-louant une partie de leurs mètres carrés. Autre phénomène marquant : la généralisation du télétravail.
Selon le conseil en immobilier commercial Cushman & Wakefield, 89 % des entreprises de 51 à 200 salariés ont autorisé le télétravail après le premier confinement (contre 73 % des entreprises de 11 à 50 salariés). Le travail à distance s'installe désormais de manière durable dans les entreprises, ce qui pose question pour l'avenir. Magali Marton, directrice du service études chez Cushman & Wakefield, observe : "Au moment du retour à la normale, les entreprises devront organiser des modes de travail multiples : à domicile, dans des tiers-lieux, au bureau, dans des espaces de coworking, etc. Et répondre aux questions posées par ces nouvelles pratiques, au plan juridique où il faudra mettre en place des accords avec le personnel, au plan ressources humaines et management. De nouveaux impératifs seront à mettre dans la balance afin de déterminer la meilleure approche en matière d'espaces de travail."
Espaces à la carte
Le flex-office, qui consiste à payer une prestation de services auprès d'un opérateur immobilier, lequel met à disposition des bureaux moyennant une redevance, n'est pas un phénomène nouveau. Avec la crise sanitaire, il s'est cependant développé. "Nous avons enregistré une croissance de 30 % au deuxième semestre 2020 par rapport au semestre précédent", révèle Christophe Burckart. Deux raisons expliquent le recours à ce secteur qui, pour le moment, ne représente que 2 % du marché de l'immobilier, comparé à la location ou l'acquisition classiques. Il y a d'une part la souplesse en termes d'engagement contractuel, car comparé à un bail classique qui engage l'entreprise sur une superficie et un loyer pour plusieurs années, le flex-office ne nécessite aucune anticipation.
"Chez Régus, on peut utiliser un bureau à partir d'une journée et jusqu'à plusieurs années, explique Christophe Burckart. Il est possible de répondre aux besoins en fonction de la situation sanitaire, du contexte économique et des projets de développement de l'entreprise." Attention cependant à bien évaluer le coût de cette solution (généralement calculé par poste occupé), lequel grimpe dès que de nouvelles prestations viennent se greffer. Seconde raison : la flexibilité géographique. Pouvoir rejoindre un espace de travail proche d'un client, ou travailler à distance sans pour autant rester à la maison, offrent une grande liberté. Des opérateurs de coworking tels que Wework ou Deskeo se sont ainsi développés dans la capitale notamment, afin de proposer de la souplesse aux petites entreprises, mais aussi aux grandes qui les sollicitent pour abriter une filiale ou un service en particulier.
Personnalisation
"Nos prestations séduisent car l'entreprise cliente paie pour un service global : elle n'a pas à s'occuper de la maintenance des locaux, de leur décoration, du ménage ou de l'accès à internet. Nous gérons même la fourniture du café!", argumente Frank Zorn, CEO de Deskeo. Les start-up, à la croissance rapide, constituent une clientèle de choix pour le flex-office. "Notre entreprise a été créée en novembre 2019 par trois associés et nous sommes aujourd'hui 33, témoigne Marion Viennet, DRH de Pixpay, neo-banque dédiée aux jeunes entre 10 et 18 ans. Nous avons recours à Deskeo qui nous permet de déménager à chaque fois que l'effectif grossit, en ayant la possibilité d'avoir des bureaux à notre image."
La personnalisation des locaux et la création d'une ambiance chaleureuse revêtent une importance d'autant plus forte que les entreprises gèrent aujourd'hui des salariés en mode hybride, à la fois en distanciel et en présentiel. "L'enjeu des employeurs, sur fond de télétravail est : comment conserver la motivation, l'émulation et le sentiment d'appartenance à l'entreprise ?, résume Ludovic Delaisse, directeur général de Cushman & Wakefield France. La solution est de proposer, dans les locaux professionnels, une expérience différente de celle que l'on vit chez soi." Autrement dit, il s'agit de donner aux salariés l'envie de rejoindre leur entreprise parce qu'ils y trouveront des équipements, un confort de travail et du lien propices à leur efficacité et épanouissement (voir encadré).
Sécurité sanitaire
Ces équipements sont par exemple : une connexion internet à très haut débit, des outils adaptés (double écran, vidéoprojection...), des espaces de travail en mode collaboratif. "Le rebond économique des entreprises passera par une reconstruction des relations entre les collaborateurs et avec les clients", estime Ludovic Delaisse. L'immobilier de bureau est donc à l'aube d'une nouvelle ère, où il doit continuer à répondre aux enjeux d'image de l'entreprise, d'attractivité pour les nouveaux collaborateurs, d'optimisation des coûts et de bien-être au travail, sur fond de sécurité sanitaire.