Patron séquestré : comment faire face, comment l'éviter ?
Publié par Christine Artus, Avosial,et Sarah Chihi K&L Gates Paris le - mis à jour à
Dans un contexte de crise économique, les projets de restructuration se multiplient. Les tensions et l'incertitude mènent à des négociations de plus en plus difficiles qui se sont parfois soldées par des séquestrations de dirigeants, dites bossnapping. Retour sur cette notion et ses enjeux.
Ces dernières années, plusieurs entreprises ont été au coeur de l'actualité à la suite de la séquestration d'un ou plusieurs de leurs dirigeants. Sur fond de conflit social, la séquestration était vue, un temps, comme le moyen de pression ultime visant à « forcer » la négociation. Même si aujourd'hui la séquestration des dirigeants fait moins parler d'elle, la crise économique, associées à la pandémie de COVID-19, relance la vague de restructurations, propice aux tensions sociales et à la survenance de situations extrêmes.
La séquestration, qu'est-ce que c'est ?
Le fait, sans ordre des autorités, d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne est constitutif d'une infraction, sanctionnée pénalement par une amende et une peine d'emprisonnement dont la durée varie en fonction des conditions de l'infraction.
La séquestration suppose la privation de liberté, la volonté d'empêcher une ou plusieurs personnes de circuler librement, peu important qu'un acte de violence ait été commis(1). Ainsi, retenir son patron tout en lui apportant du café et des croissants le matin constitue bien une séquestration susceptible d'être pénalement réprimée.
En pratique, la séquestration intervient dans un contexte social tendu, principalement dans le cadre d'une restructuration voire d'une liquidation judiciaire. L'objectif est de provoquer une réaction de la part de la direction, qu'il s'agisse de forcer ou de rompre le dialogue. La réaction du dirigeant et de son équipe est primordiale, il s'agit de gérer une crise immédiate et d'éviter toute escalade qui impacterait la sécurité et la santé des personnes concernées.
Comment se préparer et l'éviter ?
Une séquestration intervient rarement du jour au lendemain, sans signe avant-coureur. Un dirigeant devrait être en mesure de décrypter les signaux de tension et être prêt à réagir.
La formation et l'accompagnement des dirigeants constituent une première étape indispensable. Dans un contexte social difficile, cette préparation est primordiale et doit a minima couvrir les thèmes suivants :
En pratique, les salariés concernés ont souvent le sentiment de ne pas être entendus, de ne pas être compris. L'incompréhension et l'incertitude font émerger un stress, une tension émotionnelle qui peuvent conduire à des situations extrêmes, comme la séquestration.
Un dialogue de proximité permet d'assurer un échange régulier sur les préoccupations des salariés. Il est donc recommandé d'impliquer le mangement afin de détecter et désamorcer les éventuels conflits individuels ou collectifs.
Comment affronter une situation de crise ?
Lorsqu'en dépit des mesures de prévention, la situation dégénère, il faut savoir bien réagir.
Dans le feu de la négociation, il n'est pas rare de s'emporter, de camper sur ses positions, de s'opposer fermement aux négociateurs présents. Cette réaction, humaine et spontanée, risque d'envenimer la situation et de compromettre la négociation.
Pour apaiser les tensions et éviter les situations extrêmes, il est notamment recommandé de :
Lorsque la séquestration se produit, il faut :
Les conséquences de la séquestration
La séquestration est une infraction pénale. Si la personne séquestrée est libérée avant le septième jour, la peine encourue est de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende, sauf cas de violence[2]. Au-delà, la séquestration constitue un crime et est punie d'une peine allant jusqu'à trente ans de réclusion lorsqu'elle est commise à l'égard de plusieurs personnes[3]. Les peines encourues sont plus lourdes en cas de séquestration commise en bande organisée[4].
D'un point de vue disciplinaire, la participation active d'un salarié à une séquestration justifie son licenciement pour faute lourde[5].
L'acte conclu dans le cadre d'une séquestration est nul car le consentement du dirigeant a été vicié - on dit que le consentement a été acquis par « violence ». Il appartient alors à l'entreprise de saisir la justice dans un délai de cinq ans pour contester la validité de l'acte conclu.
Pour aller plus loin
Christine Artus, membre d'AvoSial, est avocate associée chez K&L Gates Paris. Elle conseille des entreprises sur tous les aspects du droit social et intervient également en contentieux.
Mais également
Sarah Chihi est collaboratrice senior chez K&L Gates Paris et intervient en droit social.
[1] Cass. Crim. 4 avril 2002, n°01-86505
[2] Articles 224-1 et 224-2 du code pénal
[3] Article 224-3 du code pénal
[4] Article 224-5-2 du code pénal
[5] Cass. Soc. 2 juillet 2014, n°13-12562