[Tribune] Apparence physique du salarié : où commence la discrimination ?
Publié par Me Charlotte Hammelrath le - mis à jour à
Sanctionner un collaborateur sur son apparence physique est discriminatoire. Mais quelle réalité se cache derrière cette notion un peu floue d'apparence physique ? Tour d'horizon de la législation et de la jurisprudence en la matière.
L’article L. 1132-1 du Code du travail dresse une liste des comportements jugés discriminatoires qui ne doivent pas avoir droit de cité dans l'entreprise. Cela va de l'identité sexuelle à son âge, en passant par sa situation familiale ou encore son apparence physique. Cette dernière notion peut apparaître floue…
Deux conceptions de l’apparence physique peuvent être distinguées :
La conception stricte ne devrait pas poser de difficulté quand elle est établie car elle est inhérente à la personne et ne peut pas être discutée. Ainsi, constitue une discrimination le fait d’imposer un changement de planning à une salariée, changement lié à la visite sur le lieu de travail des membres de la direction au motif que sa collègue "passait mieux" (CA Paris 9 sept. 2003 n° 02-38013).
Pour des raisons d'hygiène
La conception élargie est, quant à elle, plus difficile à cerner. L'employeur peut apporter une restriction à la liberté du salarié dans sa manière de se vêtir mais uniquement dans l’intérêt de l’entreprise, toujours en étant proportionnée au but poursuivi. Lorsque l’hygiène et la sécurité sont les motifs de la contrainte vestimentaire (chaussures de sécurité, blouse…), le salarié doit s’y conformer car la cause de celle-ci est objective et détachée de considérations en relation avec l’apparence physique. Par exemple, un apprenti boucher ayant saisi le Tribunal pour licenciement discriminatoire en raison de son apparence physique s'est vu débouté de sa demande. Car si son employeur exigeait de lui qu’il retire ses piercings, c'était pour des motifs d'hygiène : le Tribunal n'a pas reconnu la discrimination car le traitement des aliments est régi par des normes d’hygiène qui imposent le non-port, pour les personnes préparant les aliments, de bijoux, règle rappelée dans la lettre de licenciement.
Quid de la décence et du respect de la clientèle ?
L’appréciation devient évidemment plus délicate dès lors que les fondements de la contrainte sont la décence et le respect de la clientèle. Dans ce cadre, la limite entre objectivité et subjectivité est plus ténue. Le cas par cas s’impose au regard des décisions judiciaires très diverses. La décence peut être invoquée. Deux exemples : le port d'un chemisier transparent avec les seins nus ne saurait ainsi être autorisé (Cass soc. 22 juil. 86, n° 82-43.824), tout comme le port d'un survêtement pour accueillir la clientèle d’une agence immobilière (Cass soc. 6 nov. 2001, n° 99-43.988).
En revanche, sanctionner le port de boucle d'oreilles pour les hommes peut être discriminatoire. La Cour de cassation dans un arrêt de janvier 2012 (n° 10-28.213) a condamné un employeur qui avait licencié un salarié en utilisant dans la lettre les termes suivants : "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes". Le licenciement avait pour cause l’apparence physique du salarié rapportée à son sexe. La Cour de cassation a donc pu en déduire que le licenciement reposait sur un motif discriminatoire. Si l’employeur avait motivé sa lettre de licenciement en indiquant uniquement que le restaurant recevait une clientèle attirée par sa réputation, laquelle impose une tenue sobre du personnel en salle et qu’ainsi le port de boucles d’oreilles pendant la durée du service était incompatible avec ces fonctions et ces conditions de travail, la décision de la Cour aurait sûrement été différente !
Enfin, en ce qui concerne le port de signes religieux sur le lieu de travail la règle est la même : l’employeur pourra les interdire pour des raisons objectives étrangères à toute discrimination et proportionnées au regard des tâches des salariés et du contexte de leurs exécutions notamment pour raisons de sécurité ou pour conserver le principe de neutralité au regard des clients.
Il faut donc rester très vigilant dans la rédaction des règlements intérieurs et dans la motivation des sanctions prises sur ces divers sujets surtout qu’en cas de licenciement jugé comme reposant sur un motif discriminatoire, la sanction est la nullité du licenciement avec une possibilité de réintégration du salarié.
Bio Me Charlotte Hammelrath a prêté serment en 1992 et a rejoint la SCP Coblence & Associés en 1995, comme collaboratrice puis comme associée. Rens. : www.coblence-avocat.com/fr |