[Tribune] Rupture brutale : ne vous trompez pas de tribunal !
Publié par Me Nicolas Lisimachio, avocat associé chez Brunswick Société d'Avocats le - mis à jour à
Lors de la perte d'un partenaire important, le recours à la "rupture brutale" est devenu un réflexe pour les dirigeants. Ils connaissent désormais bien les avantages de ce régime mais maîtrisent moins ses contraintes. Attention notamment à la spécialisation juridictionnelle.
Les contentieux liés à la rupture brutale de relations commerciales établies (RBRCE) ont connu un développement considérable, voire excessif, depuis la création de cette notion. En effet, dans un contexte de crise, les entreprises ont vu dans ce régime un espoir de compensation de la perte d'un partenaire essentiel. Il en a résulté une jurisprudence particulièrement abondante, mais totalement éparse et incohérente. Une harmonisation s'imposait.
À cette fin, et en application de la loi LME, un décret de 2009 a dévolu de manière exclusive, le contentieux de la RBRCE (et des autres pratiques restrictives de l'article L.442-6 du code de commerce) à huit tribunaux de commerce (Paris, Marseille, Nancy, Lyon, Lille, Rennes, Bordeaux, Fort-de-France) et une seule cour d'appel (Paris).
Une compétence exclusive impossible à contourner
Malgré la relative ancienneté de cette spécialisation, nombreux sont les plaideurs qui ignorent toujours son existence et saisissent la mauvaise juridiction (le plus souvent le tribunal local). D'autres sous-estiment sa portée et croient pouvoir déroger à celle-ci, en se prévalant par exemple du fait que la RBRCE ne soit qu'un grief subsidiaire ou que l'entreprise fasse l'objet d'une procédure collective.
Inutile de poursuivre une procédure vouée à l'échec, le tribunal local n'aura d'autre choix que de se déclarer incompétent.
Or, la spécialisation est d'ordre public et aucune dérogation n'est admise. En cas de saisine de la mauvaise juridiction, il convient pour le demandeur, soit de corriger le tir le plus rapidement possible en sollicitant le transfert de l'affaire directement auprès de la juridiction spécialisée (technique de la "passerelle"), soit de délivrer une nouvelle assignation.
Inutile de poursuivre une procédure vouée à l'échec, le tribunal local n'aura d'autre choix que de se déclarer incompétent et l'entreprise aura perdu du temps et de l'argent.
Une procédure spéciale à bien anticiper
Le dirigeant d'une entreprise qui ne se trouve pas dans le ressort d'une juridiction spécialisée doit donc avoir conscience que la mise en oeuvre d'un procès en "rupture brutale" impliquera de recourir à des intervenants locaux (huissiers, avocats) avec lesquels il n'a pas nécessairement l'habitude de travailler.
Les usages du tribunal spécialisé (longueur et rythme de la procédure notamment) seront certainement différents de ceux desquels son conseil habituel et lui-même sont familiers. Surtout, le tribunal spécialisé aura une approche plus distante et froide de son dossier que celle d'un tribunal local souvent sensibilisé aux enjeux économiques et sociaux de la région dans lequel il se trouve, en particulier lorsque l'entreprise est en situation de redressement ou liquidation judiciaires.
Le dirigeant devra donc intégrer ces facteurs dans sa réflexion avant d'engager une action judiciaire qui demeure, par nature, aléatoire et onéreuse. À ce titre, il est recommandé au dirigeant de faire établir, par un spécialiste et préalablement à toute action judiciaire, une consultation sur les chances de succès de son dossier.
L'auteur
Me Nicolas Lisimachio est avocat associé chez Brunswick Société d'Avocats. Il est spécialisé dans le contentieux des affaires et plus particulièrement dans la résolution des différends commerciaux (notamment la rupture brutale de relations commerciales établies, la concurrence déloyale et le recouvrement de créances).