[Tribune] Que risque un salarié à dénigrer son employeur ?
Publié par Nicolas Léger le - mis à jour à
Entre liberté d'expression et lien de subordination, tout est affaire de mesure et de circonstances. La critique émise par le salarié peut, dans certains cas, l'exposer au risque d'une sanction patronale, y compris un licenciement pour faute grave.
Le salarié, pour être soumis au pouvoir de direction de l'employeur, au temps et au lieu de travail, n'en reste pas moins un citoyen. Il peut faire usage de sa liberté d'expression, protégée à la fois par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Convention Européenne des Droits de l'Homme et le Code du travail (art L. 1121-1). Ce principe a été posé en premier lieu par un arrêt Clavaud, de 1988. Le salarié avait été jugé non fautif d'avoir, à l'occasion d'une interview par un journal national, critiqué les conditions de travail en vigueur dans son établissement.
Depuis cette date, la jurisprudence retient de façon constante que le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression et qu'il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherchée (Cass. Soc. 14 décembre 1999, n° 97-41.955).
Cette liberté est évidemment assortie de limites et ne doit pas dégénérer en abus. Tel est le cas quand le salarié tient des propos injurieux, diffamatoires, ou excessifs. Le salarié risque alors les foudres patronales, soit un licenciement, pour faute grave ou lourde, dans des cas extrêmes, révélant une intention de nuire. Dans ce type d'affaire, les juges opèrent une appréciation au cas par cas et il sera tenu compte du caractère isolé ou répété des propos, des circonstances pour caractériser un manquement.
La nature des fonctions exercées par le salarié influe également sur l'appréciation d'un éventuel abus. Un cadre, qui représente la direction, doit faire preuve de mesure dans les propos qu'il tient aux autres salariés. Pour autant, la jurisprudence retient que son positionnement et ses compétences techniques l'autorisent à porter des critiques mêmes vives, à la connaissance de sa direction. Il ne faut toutefois pas confondre critique et refus d'exécuter les directives, qui expose nécessairement à une sanction disciplinaire.
Prudence sur les réseaux sociaux
Dans sa vie privée, le salarié jouit en principe d'une forme d'immunité, tout simplement car il n'est plus soumis au lien de subordination qui résulte du contrat de travail. Cette immunité n'est pas absolue : si l'employeur ne peut faire usage de son pouvoir disciplinaire sur le fondement de fait de vie personnelle, il peut toutefois licencier le salarié si les propos tenus sont à l'origine d'un trouble objectif caractérisé, perturbant sérieusement le fonctionnement de l'entreprise.
Cela pose la question du caractère privé ou non des propos tenus par le salarié. Sans surprise, les réseaux sociaux sont une source abondante de contentieux... Des décisions disponibles, il ressort que :
- les propos tenus par un salarié sur son compte Facebook privé, accessible à un nombre restreint de personnes, revêtent un caractère privé (Cass. soc., 10 avril 2013, n°11-19.530). Toutefois, ces propos perdent leur caractère privé s'ils ont été affichés sur l'écran de l'ordinateur de l'entreprise et visibles de toutes les personnes présentes au sein de l'entreprise (CA Toulouse, 4e ch., sect. 2, 2 février 2018).
- les propos tenus par un salarié sur son compte Facebook accessible à tous revêtent un caractère public et peuvent donc être sanctionnés (CA Reims, 9 juin 2010, n°09/03209 ; CPH Boulogne, 19 novembre 2010, n°09/00343).
Au-delà des sanctions civiles, le dénigrement de l'entreprise peut exposer son auteur à une sanction pénale, pour injure publique. Une salariée, qui s'était épanchée en des termes crus sur Facebook après une journée éprouvante l'a appris à ses dépens (Trib. Cor. Paris 17 janvier 2012).
Les frontières entre liberté d'expression, critique légitime et dénigrement fautifs sont affaire de circonstances et invitent à la prudence
L'auteur
Nicolas Léger est avocat associé au sein du département Droit social du cabinet Proskauer. Il conseille de grands groupes français et étrangers et les assiste à l'occasion de contentieux collectifs et individuels sensibles et complexes devant les juridictions civiles et pénales. Maitre de conférence à Sciences-Po Paris, il enseigne également à l'Université Paris I.