[Tribune] Gare à la rupture des relations commerciales
Publié par Me Sébastien Robineau le - mis à jour à
La rupture brutale des relations commerciales est très strictement encadrée par la jurisprudence. Et si un préavis raisonnable n'est pas respecté, gare à l'indemnisation.
La crise conduit à des comportements que la loi et la jurisprudence ont entrepris de sanctionner. Il en est ainsi de la rupture d'une relation commerciale établie de longue date. Les temps difficiles que nous traversons peuvent donner l'envie de changer de fournisseurs et de mettre en concurrence plusieurs d'entre eux afin d'améliorer sa marge en payant moins cher ce qui concourt à la production de l'entreprise.
Mais gare au surcoût ! En effet, la loi comme la jurisprudence entendent encadrer la résiliation des relations commerciales établies de longue date par le respect d'un préavis raisonnable. À défaut, le couperet de l'indemnisation tombe à coup sûr !
L'article L. 442-6 du Code de commerce, récemment réécrit par la loi Hamon (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014), encadre le délai du préavis.
Sans attendre cette réécriture, la jurisprudence veille, depuis quelques années, à sanctionner ceux qui mettraient fin à une relation contractuelle existant depuis longtemps. L'année 2014 qui s'achève n'a pas manqué de connaître son lot d'affaires dans lesquelles des contractants indélicats ont été condamnés à de lourds dommages-intérêts pour avoir mis fin, brutalement, à une relation commerciale.
Petit tour de piste ? En premier lieu, la jurisprudence est garante de la durée du préavis et elle n'hésite pas à faire fi du délai contractuel. Peu importe ce dont les parties sont convenues, dans leurs accords, seule la durée de la relation contractuelle doit servir de guide dans l'appréciation de celle du préavis. Ainsi, un préavis contractuel de sept jours ne saurait suffire pour mettre un terme à une relation qui a duré douze ans (CA Paris, pôle 5, ch. 5, 10 avr. 2014, n° 12-01.373) ! Par deux fois, la cour d'appel de Paris a estimé à un an le préavis raisonnable.
Même lorsque les parties n'ont pas prévu de préavis pour une éventuelle rupture, cas très fréquent des relations commerciales nées de la seule signature de bons de commande, la jurisprudence veille, néanmoins, au grain. Au-delà d'une douzaine d'années de relations commerciales, le préavis moyen est, là encore, d'une année. En deçà, six mois de préavis sont raisonnables pour une relation contractuelle qui a duré sept ans (CA Paris, pôle 5, ch. 5, 12 juin 2014, n° 12-19.613) lorsque la rupture est brutale, sans lettre de rupture, par une simple abstention à passer des commandes du jour au lendemain.
En second lieu, la jurisprudence applique une méthode simple pour déterminer les dommages-intérêts dus par le contractant indélicat. En général, la marge brute perdue pendant le préavis raisonnable qui n'a pas été respecté est indemnisée à l'euro près (CA Nancy, ch. 2, 6 janv. 2014, n° 10-03.346 ; CA Reims, ch. civ., 1re sect., 7 janv. 2014, n° 12-01.048 ; CA Paris, pôle 5, ch. 5, 20 mars 2014, n° 12-01.371 ; CA Orléans, ch. com. éco. fin., 5 juin 2014, n° 13-00.257). Et parfois, les circonstances de la rupture, voire la durée de la relation contractuelle ouvrent droit à des dommages-intérêts complémentaires, lesquels couvrent divers préjudices. Ainsi, le préjudice moral de l'entreprise victime d'une rupture brutale a été indemnisé (CA Paris, pôle 5, ch. 5, 15 mai 2014, n° 12-09.133). De même, la reprise du stock de l'entreprise victime de la rupture a-t-elle été ordonnée (CA Orléans, ch. com. éco. fin., 5 juin 2014, n° 13-00.257).
À méditer avant de se séparer de son fournisseur !
Me Sébastien Robineau
Avocat associé du cabinet Homère, Me Sébastien Robineau intervient en droit des sociétés, droit fiscal, droit commercial, ainsi qu'en droit pénal des affaires.