Intelligence humaine vs intelligence artificielle : la lutte des cerveaux
Publié par Barbara Prose le - mis à jour à
Chirurgien, neurobiologiste, énarque et romancier, Laurent Alexandre explore l'avènement d'une ère où les intelligences artificielles nous surpasseront. Pour garder le contrôle, il prône, en entreprise comme dans la société, la valorisation de l'excellence des cerveaux humains.
"Un monde dans lequel l'intelligence est gratuite et infatigable, c'est une rupture majeure pour n'importe quel chef d'entreprise." Voilà comment entame son propos Laurent Alexandre, chirurgien, neurobiologiste et romancier. Il opère une distinction, en intelligence, entre les cerveaux organiques - ceux des humains - et les cerveaux de silicium (matière des puces électroniques) des intelligences artificielles. Parmi les cerveaux de silicium, sont classées les intelligences artificielles (IA) faibles, distinctes des IA "fortes" qui auront un jour conscience d'elles-mêmes.
Pour se préparer au bouleversement sociétal qui s'annonce - dans un premier temps, le remplacement des cerveaux de silicium par des IA faibles, puis, dans un deuxième temps, le dépassement des cerveaux humains par des IA fortes -, Laurent Alexandre préconise aux dirigeants de préparer le champ de bataille. "L'intelligence (humaine) est rare, chère, capricieuse et travaille 35 heures par semaine. Demain, elle sera presque gratuite, ubiquitaire, travaillera 168 heures par semaine et circulera de manière instantanée de Paris à New York ou Pékin, prévient-il. Un nombre de tâches croissant est confié à des IA faibles - et malgré cela, elles sont déjà meilleures que le meilleur des radiologues ", explique Laurent Alexandre, convaincu qu'il n'est pas nécessaire d'attendre une ère à la Terminator pour commencer à s'inquiéter.
Comment lutter ?
Comment faire pour que le cerveau humain reste compétitif face aux cerveaux de silicium ? Pour Laurent Alexandre, les cerveaux qui tireront leur épingle du jeu seront complémentaires de l'intelligence artificielle. Mais ils seront plus rares et vaudront plus cher. "Un vrai spécialiste vaut plus d'1 million de dollars par an. Seuls les Gafa peuvent se les offrir aujourd'hui. Donc, peu d'acteurs vont réellement produire de l'IA. En réalité, ils achèteront de l'IA aux géants [les Gafa, donc, NDLR]", estime-t-il.
Google et IBM commencent déjà à fournir cette matière première "au robinet". Pour les chefs d'entreprise, il s'agit, d'après Laurent Alexandre, d'anticiper la capacité d'entrée d'autres acteurs sur leur créneau business grâce aux nouvelles technologies. "Le patron d'Airbus estime que Google est sans doute son principal concurrent à ce jour", raconte le conférencier. Demain, l'intelligence artificielle sera insérée dans des véhicules autonomes, mais également pour gérer l'automatisation des chaînes de production...
Tous types d'outils de mise en oeuvre peuvent être imaginés. Autre enjeu : comment gérer l'organisation de l'entreprise entre cerveaux organiques et cerveaux de silicium ? "Ce qu'il va se passer dans l'entreprise, c'est la fusion de l'IT et de la DRH. On managera ensemble et de façon synergique le silicium et l'intelligence artificielle", prophétise Laurent Alexandre. Pour lutter, le business doit être évalué au quotidien. "Le chef d'entreprise de type PME n'est pas un prospectiviste. Mais dans les phases de bouleversements technologiques majeurs, une réflexion sur le futur deviendra importante", appuie le romancier. Il suggère d'ailleurs la mise en place d'un plan de réflexion à horizon 2020-2025 pour planifier ce qui suivra.
À l'aube d'une révolution
"L'intelligence artificielle remplacera des millions d'emplois. Mais la totalité des études sorties sur cette destruction d'emplois est d'une naïveté touchante", ironise le chirurgien. Car c'est sans compter sur les métiers émergents. "Nous ne connaissons pas les métiers de demain. Nous ne savions pas qu'il y aurait YouTube, BlaBlaCar... ", prévient-il. La transition est à rapprocher, pour lui, de la révolution qu'a alimentée, au début du XIX e siècle, l'arrivée des premières voitures à essence.
La diminution drastique des chevaux dans les grandes villes a, elle aussi, nourri les fantasmes d'une destruction de masse des emplois. Et des emplois ont en effet été détruits. Les porteurs d'eau, les maréchaux-ferrants... "Si tous les naïfs et les pessimistes avaient fait leurs études en 1895, ils auraient aussi additionné ces métiers en cours de disparition", rappelle Laurent Alexandre. Mais d'autres ont émergé : "L'automobile a créé pas loin de 10 millions de nouveaux emplois, notamment autour du tourisme, de l'exploitation des routes et de l'exportation de voitures", poursuit-il.
Dans l'expectative de ce futur incertain, existe-t-il une solution pour sauver l'humanité et lui éviter d'être disqualifiée par les progrès de la technologie et de l'intelligence artificielle ? Pour le neurobiologiste, tout tient dans la formation des jeunes cerveaux. "Il faut moderniser l'école, mettre des gens plus compétents, voire les meilleurs, et les surpayer. Il faudrait que l'enseignement soit le métier le mieux payé de la fonction publique, avec des enseignants de compétition", développe-t-il.
Des microprocesseurs dans la tête
Il cite en exemple Elon Musk, l'entrepreneur américain milliardaire et responsable, entre autres, du succès de PayPal, Tesla et SpaceX. "Elon Musk, avec le lancement de Neuralink, veut mettre des microprocesseurs dans la tête de nos enfants. Nous allons vers une société de neuro-enhancement (neuro-amélioration). Si les enfants de Californie ou de Singapour s'y mettent, nous serons bien obligés de nous y mettre aussi", conclut-il, avant d'ajouter : "Notre Terre disparaîtra dans 2 milliards d'années car le Soleil commence à chauffer. Les océans partiront en vapeur d'eau dans pas si longtemps. La démocratie ne peut pas survivre aux inégalités de quotient intellectuel dans une société dirigée par les intelligences artificielles fortes. Si nous ne trouvons pas un moyen définitif de nous surqualifier face à l'IA forte, nous disparaîtrons", conclut-il.