L'Europe des licornes : la France en pole position
Publié par Véronique Meot le | Mis à jour le
Les annonces se succèdent, des start-up françaises accèdent (enfin) au statut de licornes. Mieux, la croissance des investissements en capital-risque permet à la France de se hisser à la deuxième place européenne, devant l'Allemagne. Tous les voyants sont au vert, malgré des freins qui persistent...
Avec une levée de fonds de 355 millions de dollars annoncée au mois de juin, l'entreprise française spécialiste du bricolage ManoMano atteint une valorisation de 2,6 milliards de dollars. Le tour de table mené par un nouvel investisseur américain, Dragoneer Investment Group, devrait lui permettre d'accélérer sa croissance européenne, notamment en poursuivant son développement en Allemagne et au Royaume-Uni, et en renforçant son offre B to B en Espagne et en Italie.
ManoMano projette de recruter 1 000 nouveaux talents d'ici à la fin de 2022 : la scale-up rejoint le club très sélect des « licornes » (entreprise évaluée à plus d'un milliard de dollars). Elle n'est pas la seule : à son image, depuis quelques mois, plusieurs start-up françaises réalisent de très belles levées de fonds. Et le nombre de licornes augmente (Contentsquare, Backmarket, pour ne citer qu'elles). « La pandémie a accéléré la digitalisation de l'ensemble des secteurs et certaines activités ont été particulièrement mises en lumière », résume Marc Menasé, serial entrepreneur, business angel et fondateur du fonds à impact Founders Future.
Le Royaume-Uni en tête
Globalement, « l'Europe connaît une accélération du développement des start-up et scale-up depuis les cinq dernières années, portant le nombre de licornes à environ 80, contre 50 il y a deux ans », remarque Jean-Pierre Valensi, associé, responsable des équipes Capital Markets Advisory chez KPMG France. Les planètes s'alignent. « Les pouvoirs publics en Europe ont pris conscience de la nécessité de ne plus perdre de terrain face à l'Asie et aux États-Unis. Les politiques d'accompagnement financier se mettent en place, le savoir-faire technologique préexistant est désormais valorisé », ajoute-t-il.
Le Royaume-Uni, qui compte une trentaine de licornes, a pris une longueur d'avance. « Son écosystème est en place depuis plus longtemps et la culture anglo-saxonne est familière des fonds d'investissement. De plus, Londres profite d'émanations de fonds américains », explique Franck Sebag associé EY. En France, il a fallu attendre la création de Bpifrance et de la French Tech pour voir éclore un écosystème solide. « En Angleterre, les fonds d'investissement sont puissants et Bpifrance ne parvient pas à compenser la différence. Les entrepreneurs français n'aidant pas assez la génération suivante, mécaniquement, les start-up tricolores arrivent plus tardivement au même niveau que leurs homologues britanniques. D'autant plus que la barrière de la langue pénalise la France alors que la totalité des entreprises anglaises sont prêtes pour se lancer sur le marché des États-Unis », commente Denis Fayolle, serial entrepreneur et investisseur - il est à l'origine de La Fourchette et a accéléré ManoMano - CEO de Seed & Seeds (fonds de dotation pour l'environnement). De leur côté, « les start-up allemandes bénéficient d'un marché local plus important (avec plus de 80 millions d'habitants) et d'une culture tournée vers l'export », avance-t-il. En outre, l'Allemagne dispose d'un terreau fertile avec un beau panel d'ETI industrielles.
La France, elle, a opté pour une stratégie d'arrosage. Conséquence, « le vivier de start-up est très dense aujourd'hui, mais les tours à plus de 100 millions d'euros encore peu nombreux. Les belles réussites trop rares, regrette Franck Sebag. Pourtant, la France a la capacité de créer des entreprises innovantes de taille intermédiaire ». Il n'empêche, elle ne compte, à ce jour, aucune « décacorne » (start-up évaluée à plus de 10 milliards de dollars) dans ses rangs. Les plus grosses entreprises sont ailleurs : Klarna, le spécialiste du paiement électronique, qui est sans doute la start-up la plus valorisée d'Europe est... suédoise.
Start-up nation
« La France est en train de devenir une start-up nation », annonce Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation de Bpifrance. Une dynamique est enclenchée grâce notamment à la synergie entre le nombre de jeunes pousses, les talents et l'argent disponible. « Nous finançons aujourd'hui environ 1 200 start-up par an, contre seulement 300 en 2013-2014 et une puissante industrie du capital-risque est en cours de création », argumente-t-il. Une autre métrique illustre la tendance : « Le nombre d'entreprises qui trouvent un investisseur a plus que doublé entre 2013 et 2020 », précise Paul-François Fournier.
Faut-il un volume important de jeunes pousses pour faire émerger des licornes ? Grégoire Martinez, directeur de la communauté et de la communication de Station F y croit : « Le campus de Station F accueille plus de mille start-up. Or, la première étape est très importante car les porteurs de projets opèrent leurs premiers choix stratégiques, leurs premiers investissements. En France, les compétences existent, nous bénéficions d'excellentes écoles d'ingénieurs et d'écoles de commerce. » Une partie des 120 scale-up sélectionnées dans le cadre du programme d'accompagnement French Tech 40/120 ont vocation à devenir des leaders technologiques de rang mondial. « Il faut des fonds pour accompagner la croissance des start-up et, depuis quelques années, nous fournissons de gros efforts. Bpifrance investit dans une centaine de fonds de capital-risque en France », déclare le directeur exécutif innovation.
En outre, leur taille augmente, passant selon Bpifrance de 80 millions d'euros en 2013-2014 à près de 300 millions d'euros aujourd'hui. Résultat : « L'écosystème est en place pour investir plusieurs dizaines, voire centaines de millions d'euros et permettre ainsi à des licornes d'émerger », promet Paul-François Fournier. Un pas de géant. En 2019, le rapport Tibi - du nom de son auteur, Philippe Tibi, président de Pergamon campus et professeur d'économie à l'École polytechnique - intitulé « Financer la IVe révolution industrielle : Lever le verrou du financement des entreprises technologiques » a pointé l'insuffisante capacité de financement des entreprises technologiques en France au moment de leur accélération industrielle et commerciale. Pour combler cette faille, les investisseurs institutionnels français se sont engagés à consacrer plus de 6 milliards d'euros en faveur du financement des entreprises technologiques avant le 31 décembre 2022.
11 IPO en France
« Les marchés financiers ne sont pas encore à maturité, les pouvoirs publics doivent aller plus loin, notamment pour orienter l'épargne vers l'investissement dans la Tech à travers des véhicules structurés et rassurants. Il manque en France une capacité à accompagner les entreprises sur les marchés financiers, déplore Jean-Pierre Valensi. Or c'est là que se passe la suite de l'aventure. » Et pourtant, les entrepreneurs doivent s'y risquer. « Il faut se montrer courageux et aller en bourse, et pour réussir, investir en amont dans la structure de l'entreprise, notamment en recrutant un Daf de qualité, capable de mettre en place et de gérer les process nécessaires, donner de la visibilité et de la crédibilité », assure Jean-Pierre Valensi. Car c'est une des faiblesses de l'écosystème français. « Au premier trimestre 2021, 99 IPO [introduction en bourse] ont été enregistrées aux États-Unis pour un montant de plus de 41 milliards de dollars contre 17 au Royaume-Uni (7,5 milliards de dollars) et 11 en France (1 milliard de dollars), c'est sans commune mesure », lâche Franck Sebag. « Est-ce que les entreprises françaises empruntent la trajectoire qui autorise une introduction en bourse ?, s'interroge Alexandre Prot, CEO et cofondateur de Qonto, néobanque dédiée aux PME et aux indépendants. Peu s'y attaquent, cela implique de nombreuses contraintes et la place de Paris reste peu sollicitée. »
Believe, la pépite musicale spécialisée dans l'accompagnement numérique des artistes, a lancé son introduction à la Bourse de Paris au mois de juin pour lever 300 millions d'euros. Une première qui montre la voie ? En juin toujours, un Spac (Special Purpose Acquisition Company, ou véhicule d'investissement coté) dédié à la Tech, DEE Tech, est introduit sur Euronext et a levé 165 millions d'euros. Conduit par Marc Menasé et des anciens de Veepee notamment, son but est de faire émerger un géant européen. « Nous souhaitons faciliter l'accès à la cotation, notre objectif étant de réaliser une ou plusieurs acquisitions d'acteurs opérant en Europe et de les accompagner dans une nouvelle étape par un mode opératoire qui s'apparente davantage à la fusion acquisition », affirme Marc Menasé. Ce genre d'initiative devrait se multiplier.
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Témoignage
« Les ventes sur les marketplaces sont un indicateur de succès », Philippe Corrot, cofondateur et président de Mirakl
Depuis 2012, Mirakl s'efforce d'évangéliser d'abord les distributeurs, puis aujourd'hui les acteurs du B to B au modèle de la plateforme. « Nous sommes convaincus que Mirakl peut leur fournir les outils pour lutter à armes égales contre les géants mondiaux du web, à condition qu'ils adoptent rapidement et pleinement ce modèle », argumente le dirigeant. La solution logicielle (SaaS) s'appuie sur une technologie de pointe, une expertise reconnue et un écosystème de vendeurs et de partenaires de confiance. Son objectif ? Permettre à ses clients de se concentrer sur leur métier (du commerce pour les distributeurs ou de conception/production pour les acteurs industriels B to B) et sur l'expérience client. « En tant qu'entreprise technologique, l'un de nos premiers défis réside dans l'attraction et la rétention des meilleurs développeurs. Dans les trois années à venir, nous allons recruter plus de 1 000 collaborateurs en France dont 300 développeurs », annonce-t-il.
Enfin, dans un monde qui a tendance à se polariser, Philippe Corrot dit percevoir « une réelle opportunité à créer un modèle tech alternatif plus vertueux, plus durable et plus responsable ». Il poursuit : « L'Europe peut en être la tête de pont à condition qu'il y ait une meilleure collaboration entre les start-up et les grands groupes sur les sujets d'innovation. En 2019, seul 0,1 % du budget achat des grands groupes français était dirigé vers les start-up. Le réservoir de croissance est donc immense pour l'écosystème et l'innovation à portée de main pour les grands groupes. »
Mirakl
Éditeur de solutions de marketplace
Paris (16e)
Philippe Corrot, cofondateur et président de Mirakl
SAS > Création en 2011 > 500 collaborateurs
CA 2020 : NC
Témoignage
« Il y a une volonté politique, mais encore du chemin à parcourir », David Khuat Duy, président d'Ivalua
De son côté, Ivalua s'est « largement autofinancée, en gardant une dynamique de développement et de croissance organique ». Sa première levée de fonds a été réalisée 11 ans après la création de la société pour lancer son activité aux États-Unis. Aujourd'hui, la licorne poursuit son développement (acquisition de nouveaux clients internationaux, croissance annuelle de l'ordre de 30 % en 2020, reconnaissance par les grands cabinets d'analystes du marché...). Sa plateforme accompagne la transformation digitale de centaines d'entreprises en Europe, aux États-Unis, au Canada, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, en Asie. Et affirme son hégémonie.
Ivalua
Éditeur de solutions de gestion des dépenses basées sur le cloud
Massy (Essonne)
David Khuat Duy, président, cofondateur, 50 ans
SAS > Création en 2000 > 700 salariés (dont 250 en France)
CA 2020 NC