Business for good et croissance : la double promesse
Publié par Véronique Méot le | Mis à jour le
Ces patrons font rimer rentabilité et biens communs. En répondant aux besoins des consommateurs et aux attentes de leurs collaborateurs, ils opèrent une transformation encouragée par le contexte mondial, sur fond de crise climatique et sanitaire. Ainsi, ils bénéficient d'un alignement des planètes inédit. Finance, gouvernance et partage des richesses devraient suivre.
C'est qui le patron ? Tous les marqueurs semblent au vert, pour répondre avec la PME éponyme, qu'aujourd'hui c'est le consommateur ! Créée par Nicolas Chabanne et Laurent Pasquier en 2016 dans le secteur agroalimentaire, la marque propose aux consommateurs de reprendre leurs achats en main en soutien aux producteurs, et ça marche ! La société collective (SCIC) a vu le jour en janvier 2017 et commercialise du lait, du beurre, du jus de pomme, etc. " Voilà une entreprise qui parvient à prendre des parts de marché au point de faire bouger la grande distribution ", s'extasie Jean-Noël Felli(1), CEO de Balthazar, expert en stratégie de transformation.
C'est qui le patron ? (CQLP), en croissance de + 14 % en 2020, regroupe à ce jour plus de 16 millions de consommateurs et soutient 3 000 familles de producteurs.
Croissance raisonnée
" L'exigence des citoyens consommateurs et collaborateurs quant au rôle de l'entreprise et à son utilité pour la société s'accroît ", constate Emery Jacquillat, président de la Communauté des entreprises à mission. Cette pression joue en faveur d'un engagement des acteurs économiques.
Adoptée en 2019, la loi Pacte a fourni un cadre législatif et structurant en instituant la qualité de société à mission et en prévoyant que la raison d'être doit être inscrite dans les statuts de la société. Elle a ainsi contribué a accéléré le mouvement. Désormais, l'entreprise ne doit plus être gérée " dans l'intérêt commun des associés ", mais " dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ".
Le contexte actuel, avec la crise sanitaire, vient le renforcer. À la question "à quoi servent les entreprises ?" posée par l'Institut de l'entreprise(2), les Français répondent en leur fixant une feuille de route claire, persuadés qu'ils sont que les entreprises ont le pouvoir d'améliorer le monde actuel. Pour se développer, les entreprises devraient donc donner du sens à leur action. Celles qui se sont mobilisées prennent une longueur d'avance.
Le business for good semble donc bien synonyme de croissance. En revanche, il pose aussi la question des limites. " Sans militer en faveur du 'small is beautifull', il semble légitime de s'interroger sur un modèle de croissance raisonnée ", rappelle Jean Moreau, coprésident du Mouvement Impact France (ex-Mouves).
Une nouvelle génération d'entrepreneurs se lève qui essaie de dépoussiérer le business, sans pour autant endosser les habits des altermondialistes. Les entreprises à impact positif revendiquent une croissance assumée. " Nous manquons encore de belles histoires à raconter car l'argent est culturellement tabou en France, mais nous militons pour une croissance décomplexée. Nous souhaitons voir les entreprises passer le gap afin de démontrer qu'une alternative est réellement possible ", martèle Jean Moreau.
Mission opérationnelle
Aujourd'hui, plusieurs indices démontrent que quelque chose se passe. " Nous aurions pu penser que la loi Pacte influence les grandes entreprises, or les PME et ETI prennent ce virage. Nous sommes ainsi sollicités pour les accompagner dans l'opérationnalisation de leur raison d'être ", témoigne Clément Reyne, associé du cabinet Wemean (conseil en communication).
Parmi les nombreux prix distinguant les entreprises, celui de Women Equity, palmarès des PME / ETI de croissance pilotées par des femmes, se montre particulièrement exigeant en la matière et s'intéresse de près à l'impact. " Nous aimons mettre l'accent sur des entreprises qui présentent des profils intéressants en termes de performances globales, à la fois sur le plan financier et économique et en termes d'impact. Et ce de façon large, en considérant particulièrement les efforts fournis par des entreprises dont la première raison d'être n'est pas l'impact. Cette année, nous observons une percée des entreprises qui ont intégré la transition énergétique dans leur stratégie, accéléré la digitalisation de leurs activités, tout en se posant la question de leur responsabilité et en jouant le jeu de l'intérêt général " , déclare Dunya Bouhacene, présidente de Women Equity. Pour rappel, les lauréates réalisent en moyenne un chiffre d'affaires de 31,5 millions d'euros, en croissance de +30 % en 2019, plus de la moitié est présente à l'international. En 2020, année atypique s'il en est, ces dirigeantes ont maintenu le cap, voire amélioré leurs marges tout en faisant croître leurs effectifs de +10 %.
Alignement des planètes
Plusieurs éléments jouent en faveur des boîtes à impact. " Les financements sont disponibles pour les projets crédibles et les talents souhaitent rejoindre ces entreprises " , résume Jean Moreau. Il semble que l'on assiste à un alignement inédit des planètes.
Au niveau des fonds d'investissement, un changement de paradigme est en cours. Ce n'est pas par hasard que Larry Fink, président de BlackRock, le plus grand fonds de pension du monde, affirme dans sa lettre annuelle aux investisseurs dès 2018 : " Les entreprises qui honorent leur mission et leurs responsabilités envers leurs parties prenantes récoltent des bénéfices à long terme ". En précisant : " Pour prospérer au fil du temps, toute entreprise doit non seulement produire des résultats financiers, mais également montrer comment elle apporte une contribution positive à la société ". Dans leur approche, " les investisseurs tiennent de plus en plus compte des enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance des entreprises qu'ils détiennent ", commente Jean-Noël Felli.
La crise de la Covid-19 sert d'accélérateur. " Les fonds green et ISR (investissement socialement responsable) sont actuellement les plus demandés, l'argent est disponible ", assure Jean-Noël Felli. En plein essor en 2020, le marché français de l'investissement responsable compte 245 fonds supplémentaires et atteint 461 milliards d'euros au 31 décembre 2020 selon Novethic, observatoire du marché de l'investissement responsable (soit +66 % par rapport à l'année précédente).
En outre, ajoute Jean-Noël Felli, " une étude de BlackRock publiée en mai 2020 montre que les entreprises les plus responsables sont aussi les plus résilientes face à la crise ". La raison d'être promet d'apparaître comme un superbe levier de croissance en sortie de crise. Pour peu que la gouvernance mette en place les dispositifs permettant de ne pas dévier de cap. Aux entreprises de définir leurs organes de suivi. La loi Pacte a institué le comité de mission, qui doit inclure au moins un salarié pour les sociétés à mission de plus de 250 salariés. Les autres doivent se doter de garde-fous afin d'éviter de céder aux sirènes du court-termisme. Car les entités qui réussissent à conjuguer impact et croissance restent focalisées sur le sens de leur engagement.
Colp, par exemple, s'engage pour une rémunération juste et stable des producteurs, leur permettant d'offrir des produits de qualité, bons et responsables et de pratiquer des prix abordables pour tous. Son succès s'appuie sur la force de la communauté. La PME a renoncé à tout budget publicitaire et forces de vente. " La mission implique de procéder à un certain nombre de renoncements et à ciseler l'offre ", affirme Emery Jacquillat. Et il sait ce qu'il dit. En tant que président de la Camif, il s'est démarqué de ses concurrents il y a quelques années en refusant de participer au Black Friday et assumant les pertes de chiffre d'affaires. Mieux encore, la Camif écarte certains produits de son catalogue pour privilégier une offre 100 % européenne. Les objectifs à court terme ne doivent pas brouiller le dessein à long terme.
Témoignage
" Savoir à quoi on sert motive "
Thierry Yalamas, p-dg de Phimeca
RecycLivre a pour objet " la vente de livres d'occasion et plus généralement de tous biens culturels afin de permettre, notamment à des populations en situation de fragilité économique, de pouvoir accéder à la culture à moindre coût ". Une raison d'être qui n'est, pour son fondateur David Lorrain, " pas antinomique avec la croissance ".
Ses chiffres le prouvent : en 2020, la croissance enregistrée s'élève à +23 % par rapport à 2019. Et en 2021, RecycLivre vise les +50 % par rapport à 2020. " Nous travaillons avec un partenaire logistique, Ares, premier groupe d'insertion en Île-de-France et nous reversons de l'argent à des associations. Nous y parvenons parce que la marge réalisée sur les livres est suffisante ", confie-t-il.
Au-delà des résultats à court terme, David Lorrain parie surtout sur sa vision à long terme : " Nous raisonnons en termes de bénéfices et non de coûts. De nombreuses études prouvent d'ailleurs que les entreprises les plus résilientes traversent mieux les crises, or nous évoluons dans un monde où les crises se multiplient ". Une question de survie.
David Lorrain n'est pas le seul actionnaire de la société, ses investisseurs (Investir & Plus) mettent la question d'un double ROI sur la table, financier et sur l'impact. " Ces investisseurs ne suivent que les entreprises disposant d'un business model solide et respectueux de l'environnement ", précise-t-il. Tout l'art consiste à trouver le juste équilibre entre exigence économique et exigence écologique et à piloter la gestion en conséquence. " Il faut rester aligné sur les valeurs de l'entreprise ", glisse David Lorrain. Pour le reste, RecycLive continue d'innover.
RecycLivre
Vente et collecte de livres
Paris (9e)
David Lorrain, 47 ans, président
SAS > Création en 2008
32 salariés
CA 2020 : 9 M€