[Tribune] Marché de l'emploi : les seniors coutent-ils vraiment plus chers ?
Publié par Patrice de Broissia le | Mis à jour le
Plus que jamais sur le devant de la scène médiatique les seniors sont sources de questionnements et parfois de réticence de la part des entreprises. Entre intentions et actes concrets, il y a un gap ... la raison sous-jacente : le coût !
Il est vrai que statistiquement, un salarié expérimenté perçoit une rémunération plus élevée que celle d'un profil junior. Certains affirment qu'en regard de leur productivité les jeunes seraient plutôt sous-rémunérés que leurs aînés qui eux-mêmes seraient surrémunérés. Sans entrer dans ces considérations, je souhaite apporter un éclairage sous 3 angles.
Comment réellement évaluer le coût d'un senior ?
Tout d'abord, plutôt que de se référer uniquement au montant qui figure sur leur bulletin de salaire, je recommande une approche de type P&L (profit and loss), afin non pas de raisonner en termes de coût, mais de rapport coût/rentabilité.
A la question de la productivité qui s'évalue facilement, par exemple à partir d'une feuille d'objectifs, il sera alors intéressant d'inclure plusieurs paramètres d'appréciation, et notamment : le faible turn-over de ces salariés expérimentés qui permet d'éviter des coûts de recrutement souvent onéreux, leur capacité à être immédiatement opérationnel sans période d'adaptation, leur faible taux d'absentéisme, etc. En adoptant ce type d'analyse, nous pourrions avoir quelques bonnes surprises !
Ensuite, je propose d'élever un peu le regard et de dépasser le sujet de l'individu pour parler de dynamique collective. Je suis un fervent promoteur de l'intelligence collective. Le travail en équipe augmente le plaisir, la motivation et la performance diminue l'absentéisme. La mixité qui rassemble des profils juniors, des jeunes expérimentés et des seniors est un gage de partage et de développement des compétences et donc d'accroissement de la productivité ! Le senior a toute sa place au sein des équipes auxquelles il apporte son expertise précieuse et favorise une excellente coopération intergénérationnelle (sur ce dernier point, dans l'étude 'Pratiques d'entreprises en faveur de l'emploi des seniors' réalisée en 2017 par Oasys Consultant et Syndex, 82 % de DRH et DG interrogés l'affirment !)
Enfin, oui, les senior constituent un réel atout pour l'entreprise !
Et pour ne citer qu'un exemple qui soutient cette assertion, dans l'étude citée plus haut, 77 % des DRH ET DG interrogés Ie disent clairement. Les qualités professionnelles et humaines des seniors, comme leur engagement, sont majoritairement reconnus. Et bien d'autres études et témoignages abondent dans ce sens. Il semblerait donc logique de les rémunérer en juste contrepartie. Finalement, la question du coût du senior doit s'analyser dans sa globalité en prenant en compte sa contribution à la productivité de l'entreprise.
Quelles sont les forces spécifiques des seniors ?
80 %(1) des DG et DRH interrogés disent qu'au regard de l'ensemble des salariés, les seniors sont plus fiables et plus autonomes. 73% affirment qu'ils sont plus assidus au travail. 65% précisent qu'ils sont plus disponibles. 92 % soulignent leur appétence à transmettre leurs compétences. Dans une très large majorité, ils s'accordent par ailleurs sur le fait qu'ils ne sont pas moins motivés, pas moins productifs et pas moins compétents.
La moitié des DG et DRH vont même jusqu'à affirmer qu'ils ont une bonne capacité d'adaptation au changement. Enfin, tous soulignent qu'ils détiennent la mémoire de l'entreprise, et facilitent l'intégration des jeunes.
Comment se fait-il que la France soit à la traîne en Europe en ce qui concerne l'emploi des seniors ?
La France hérite aujourd'hui de sa politique menée dans les années 80 et jusqu'en 2000 durant lesquelles l'objectif majeur était de 'sortir' les seniors de l'entreprise, imaginant qu'ils avaient bien mérité de s'arrêter, au risque pour les restants de s'avérer fatigués, peu productifs et trop chers, assertions mises à mal par de nombreuses études. L'idée était alors de faire de la place aux jeunes... Depuis les années 2000, les gouvernements successifs ont quelque peu réarmé les politiques en faveur des seniors et la France a fait de nets progrès pour les 50-55 ans, mais pas au-delà. Au lieu de les pousser les seniors vers la sortie, il faut aujourd'hui miser sur la continuité de leur carrière. Dans ce contexte, le rapport Bellon, remis au gouvernement en janvier 2020, propose plusieurs mesures en ce sens. Au-delà de ces outils, il est préalablement essentiel de changer la représentation que l'on a aujourd'hui de cette catégorie de salariés.
Ainsi, d'une manière générale même si les entreprises s'accordent à reconnaitre aux seniors de précieuses qualités et compétences professionnelles, ils ne sont pas plus recrutés pour autant. Les accords de gestion des emplois et des parcours professionnels facilitent trop souvent leur sortie de l'entreprise. Il est urgent au de l'évolution de notre société de changer notre regard sur ces professionnels qui sont non seulement contributifs et rentables à l'entreprise, mais également essentiels pour pérenniser notre système de retraite.
Pour en savoir plus
Patrice de Broissia, rejoint en 2008 le practice RH & Communication d'Oasys pour se consacrer à l'accompagnement individuel et la gestion des talents, puis en 2011, il prend la direction de la Practice Communication et Digital avant de rejoindre en 2015 le pôle Mobilité qu'il dirige actuellement.
(1)* source étude de 2017 menée par Oasys Consultants et Syndex