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Entreprises, au nom du principe de transparence, votre mea culpa n'est plus une option

Publié par Capucine Berr le | Mis à jour le

Après le bullshit et le greenwashing, la transparence fait désormais loi. Mais une entreprise peut-elle réellement emprunter la voie de l'hyper responsabilité sans faire voeu d'humilité et l'aveu de ses erreurs, présentes ou passées ? Et si le mea culpa devenait la nouvelle liturgie des évangélistes du marketing ? Ici, on croît.

Avec la COP21, la Loi Pacte, la RSE et la CSRD, le capitalisme responsable a, depuis quelques années, choisi ses bâtonniers, garants de sa mission de contribuer à l'intérêt collectif. L'adhésion des sociétés à oeuvrer pour un monde meilleur - et à capitaliser sur cette philanthropie - est pourtant moins récente qu'il n'y paraît.

La tactique de l'éthique toc

En 1970, l'économiste Milton Friedman publiait dans le New York Times un article intitulé "The Social Responsibility Of Business Is to Increase Its Profits". Le problème évident, souligne-t-il, c'est qu'une stratégie RSE - sincère ou opportuniste - atteindra inévitablement le point climax où la réalité financière carambolera la philosophie et poussera hors des rails la cohérence de marque, voire Mémé dans les orties. Et après ? Pour raccrocher les wagons, un convoi de messages et compromis neo-pharisianistes et leur cohorte de tentatives maladroites de mise en conformité.

Quatre décennies de washing plus tard, slogans pâquerettes et plantations d'arbres tous horizons auront donné raison à Friedman, avouons-le. Heureusement le consommateur n'est pas dupe, c'est là son moindre défaut, et l'inconscient collectif de savoir désormais pointer le red flag. En parallèle, l'intronisation en fanfare de la RSE et de la norme ISO 26000 permirent enfin de statuer sur les enjeux fondamentaux de développement durable des entreprises (piliers économique, environnemental et social) tout en consolidant leurs valeurs fondatrices, et leur nouvelle raison d'être. Mais peut-on décider un jour d'être, sans concéder qu'on n'a pas toujours été ?

Sorry not sorry

20 millions, c'est le nombre de posts #RSE publiés en 2022 sur les réseaux sociaux, selon une étude Visibrain. Quelqu'un a-t-il déjà calculé le bilan carbone de la RSE ? La question est posée.

Et voilà la grande lessiveuse qui redémarre avec en bruit de fond le roulis des promesses à authenticité relative (60 % des Français trouvent que les marques parlent trop de RSE sans vraiment en faire. Tiens donc...). Et puis il y a ce sentiment tangible général qu'on cancel souvent l'historique de l'entreprises à grand coup de Typex quand le principe de transparence préconiserait plutôt de le stabiloter. Un terreau fertile n'est-ce pas d'abord un terreau sain, guéri des cultures (d'entreprise) mal choisies du passé ?

Le secret de longévité des relations durables, c'est le maniement subtil du mea culpa, à la fois arme rhétorique, sésame pour la paix et collier d'immunité. Le savoir dire pardon et pardonner, c'est savoir désamorcer l'inextricable, prodiguer la juste dose d'humilité pour rééquilibrer le PH d'une relation avant qu'elle vire au vinaigre (ou au contentieux, au bad buzz ou au boycott). Eteindre l'étincelle avant qu'elle ne devienne incendie et ne rallie les foules, évidemment.

Étrangement cette règle de convenance, pilier de la construction personnelle et de l'équilibre universel, dégainée en politique comme dans la sphère privée, brandie des bancs de l'école jusqu'au dernier souper, et bien figurez-vous qu'en entreprise, elle ne fait pas vraiment l'unanimité. Non, non.

Plutôt que d'affronter ses écueils, vogue encore cette satanée tradition dite de l'autruche (transmise dans certaines écoles de génération en génération) consistant à capitaliser sur une amnésie collective ou sur une déontologie élastique. Recours bis dont on ne fait pas des affiches 4X3, la stratégie contouring ascendant camouflage. En synthèse : enterrer les cadavres sous une épaisse glaise de témoignages glorioleux ou d'opérations de cleaning capable de repousser le « pas hyper joli » aux confins de Google et de la mémoire collective.

Stratégie ter : brandir un lundi en étendard le bastion tout neuf de l'entreprise à mission et à impacts. Moche mais CQFD. Le premier qui dégaine un packaging d'engrais pétrochimiques en plastique écoresponsable a gagné.

On laisse pas BP dans un coin

Mais alors pourquoi mettre tant d'ardeur à lustrer la carrosserie sans d'abord dresser un bilan honnête de l'état du moteur, sachant que la route est aussi longue que le nombre de zéros au compteur qu'on va devoir trafiquer ? Pactiser avec ses erreurs est-il vraiment un aveu de faiblesse dézingueur de leadership et d'image de marque ? Les petites lignes du contrat de transparence incluent-elles un délai de prescription ? Ignorance sincère, oeillères, perception hors sol de la chaine de valeurs de l'entreprise et de l'impact du passé nourricier ? Piscine ? Ou, plus vraisemblablement, peur des incidences économiques d'un pardon filigrané d'aveu de responsabilité ?

Certes. Et pourtant. Le coût de la perte d'un client chèrement acquis, multiplié par la portée exponentielle de son trashing à 10 âmes, ajoutez les opérations de communication et d'influence en mode reconquête, le malus d'image et la petite tâche toujours à surveiller, qui si elle devenait maligne pourrait inquiéter les financiers...Cette équation vaut bien quelques dommages, sans doute ?

Ici on croît

Socrate, lui, avait déjà pigé les vertus du mea-culpa, pilier de toute croissance morale et personnelle. ...mais aussi preuve de sa faculté d'adaptation au monde et de celle à reconnaitre à l'autre sa priorité. Les excuses publiques, le Sorry-Telling donc, renforcent la confiance et la fidélité des clients, assurément, et ne sont pas seulement réservées aux agents des SAV après 32 minutes de hotline.

Une entreprise qui admet ses erreurs et prend des mesures pour les corriger peut construire une relation de long terme basée sur la confiance mutuelle. C'est aussi, et on l'oublie souvent, l'occasion de faire intervenir le client dans le processus de réconciliation et d'amélioration et de l'upgrader au rang de prescripteur, catalyseur d'un mieux dont le monde et son ego sortiront grandis. La dynamique du pardon inclut en outre l'opportunité pas dégueu de convertir les mécontents en ambassadeurs, et de faire de ses erreurs une arme de communication positive. Oui Mesdames et Messieurs.

Enfin, à l'orée de la RSE, de la transparence et de la loyauté des pratiques, d'une gouvernance concernée et surtout d'une stratégie fil rouge de durabilité, ne doit-on pas hisser la vraie relation-client comme un principe fondamental, même au prix de quelques réajustements ?

Au risque de brusquer quelques postures bien pratiques, un voyageur abandonné 8H sur le tarmac se moque que les nouveaux plateaux repas de la compagnie soient en bambou recyclé. Ce qu'on veut c'est de l'écoute, des excuses et des actes qui donnent du sens et une garantie morale à leur fidélité et confiance renouvelées.

Évidemment il y a l'art et la manière, le timing et l'opportunité. A l'horizon de l'actualité par exemple, selon moi, manifester en 2 syllabes ses excuses et son soutien à une demi-planète coincée, un vendredi de JO et de juillet, entre tarmacs et écrans bleus prostrés n'aurait pas été d'une extrême frivolité. Let's discuss.

Il existe pourtant, si on ouvre le champ, une tribu de défricheurs auxquels les super pouvoirs de l'humilité n'ont pas échappé.

Quand, sur Linkedin, des influenceurs amorcent systématiquement leur post par de plates excuses, il ne s'agit pas là d'une psychanalyse improvisée, ni d'un trip introspectif digital. Non, personne n'est dupe.

Instaurer un climat de connivence et de proximité avec le lecteur est, on le sait, le prélude, une ligne plus loin, au récit de victoires épiques, et le prétexte aux placements produits, code reduc MINDSET71. Il n'empêche. Egratigner un peu son CV, et redevenir 5 minutes mortel, c'est ainsi qu'on embrigade le mieux le follower, qui y retourne, toujours.

A l'heure de la transparence et consorts, réhabilitons et dédramatisons-le mea culpa. Pas pour detoxer sa conscience après l'été, pas pour gagner 3 points de karma et 2 rangs au classement Bidule Truc de l'année,

Mais parce que, quand un mastodonte dévoile un instant une faille au monde, ce que voit le monde, ce n'est pas la brèche. Mais bien le petit filet de lumière qui, d'elle, surgit.

(Toute ressemblance avec des entreprises et CEO méga connus est purement for tweet.)

Depuis 25 ans aux confluents de la presse et la stratégie digitale, rédactrice en cheffe, journaliste et chroniqueuse pour les groupes Lagardère et M6, Capucine Berr réalise en parallèle, des missions de branding , publishing et influence pour des grands groupes comme Procter & Gamble ou L'Oréal et des startups France 2030. Il y a 15 ans elle crée avec son frère Mirtil Iconopress, solution innovante de Relations-Presse en ligne qui accompagne plus de 200 PME. En 2024 elle crée, toujours avec son frère, la start-up à impact Zorrooo engagée dans la résolution des litiges du quotidien et le lissage de la fracture juridique. Capucine organise également des events caritatifs, les Rêves Party et donne des cours de journalisme aux enfants .