La minute du boss : Compétition : le quotidien des entrepreneurs se joue aussi en dehors du ring !
Publié par Guillermo Di Bisotto le | Mis à jour le
Vous pourriez penser que la vie privée d'un entrepreneur, quand il raccroche les gants pour rentrer à la maison et veiller ainsi à un équilibre vie perso / vie pro optimal, ne se joue plus sur un ring ? Vous pensiez que votre foyer, les repas de famille et la salle de sport étaient des sanctuaires de bien-être autant que des havres de paix et de santé dans lesquels se ressourcer ?
Détrompez-vous ! Derrière les sourires et les compliments [sincères ?] se cachent tout autant que sur le terrain du business, des jeux psychologiques subtils qui érodent l'âme de manière insidieuse, affectent la santé mentale et finissent par influencer négativement les performances. Oui, l'équilibre perso/privé se joue aussi sur un plan psycho, car nous évitons la zone grise - lorsque nous pensons à notre boîte pendant les repas en famille et aux problèmes personnels, en pleine négociation - qu'en veillant à un état interne serein et un respect des territoires émotionnels de chacun.
Et si au lieu de parler de charge mentale de manière victimaire, nous cherchions à comprendre ce qui pourrait l'alléger ? Explorons les dynamiques sociales qui impactent notre réalité et intéressons-nous au mécanisme du jeu psychologique « le mien est mieux que le tien » pour illustrer le tout. Ce jeu, le plus répandu au monde, peut transformer une saine compétition en un égrégore abject et pervers. Il peut autant vous faire perdre des marchés qu'éclipser des moments privés de partage sincères. Jouer comprend réellement des risques d'addiction, de dépendance et d'isolement. Que ce soit au bureau ou à la maison et en famille, être « un boss », ce n'est pas exercer un pouvoir sur autrui ; c'est être l'empereur de sa paix intérieure.
L'origine du mal
Avant d'illustrer le mécanisme du jeu « le mien est mieux que le tien », revenons à ce qui en a notamment déterminé l'étude. Des jeux psychos, il y en a une cinquantaine auxquels nous adorons jouer un peu, beaucoup ou passionnément. Petit retour sur l'origine de cette approche qui pourrait vous faire tellement de bien d'intégrer à votre quotidien.
En 1945, René Spitz observe les effets néfastes des carences affectives chez les nourrissons séparés de leur mère et en déduit que les hommes et les femmes nécessitent des stimulations et des interactions sociales pour maintenir leur santé.
L'Analyse Transactionnelle (AT) pose ce principe fondamental : il existe des stimulations positives et négatives, mais l'Homme préfère les négatives à l'absence totale de stimulation.
Les stimulations ou strokes, peut être traduit par "caresses" quand c'est agréable ou "coups" quand cela ne l'est pas. Chaque stroke a sa propre intensité et plus les interactions passent des rituels superficiels à des activités sincères et authentiques, plus elles deviennent énergivores. Éric Berne, fondateur de l'AT, explique que les humains structurent leur temps pour échanger des strokes tout en évitant l'indigestion sociale :
- Des moments de retraits : Moments de recentrage sur soi, comme la méditation ou la marche solitaire.
- Des rituels : Interactions superficielles, comme se dire bonjour.
- Des passe-temps (pastimes) : Conversations sans implication émotionnelle.
- Des ctivités : Tâches communes, comme travailler ou jardiner.
- Des jeux psychologiques qui impliquent au moins deux personnes, consistent en des transactions sociales doublées de sous-entendus.
- Des moments d'intimité et de proximité : Relations sincères et franches, où toutes les émotions sont permises.
L'intimité étant énergivore, les humains ont développé des jeux psychologiques pour s'en protéger. Stephen Karpman, un des disciples de Berne, prend la relève en conceptualisant un scenario relationnel sous la forme d'un triangle dramatique, illustrant les interactions entre individus à travers trois rôles : le bourreau, la victime et le sauveur. Ces rôles et les jeux psychologiques qui en découlent révèlent des dynamiques de pouvoir et de dépendance. Le bourreau manipule et blâme la victime. La victime évite la responsabilité de ce qui lui arrive et le sauveur maintient la victime dans la dépendance. Les rôles se succèdent (victime devient bourreau, bourreau devient sauveur, etc.), structurant ainsi les jeux psychologiques de nos interactions afin de confirmer nos croyances, avec parfois des conséquences très graves ; des simples querelles en escarmouche au procès à la cour d'assise en passant par le divorce et le burn-out. À noter que les jeux psycho se jouent toujours au moins à deux. Donc si vous en détectez un, il est probable que vous jouiez aussi.
Le mien est mieux que le tien
De très loin le jeu le plus joué au monde, ce scenario consiste à comparer de manière compétitive nos possessions, nos attributs, nos réalisations à ceux des autres, dans le but autant de se valoriser que de dévaloriser l'autre. Cela a aussi pour objectif secondaire de valider une vision du monde en particulier, et peut soit influencer les perceptions et les décisions des proches, des collègues et des clients, soit les fatiguer parce qu'ils ne se sentent pas écoutés. « Le mien est mieux que le tien » est utilisé pour influencer la perception et les décisions mais principalement pour d'obtenir un avantage compétitif, une faveur, une validation ou afin de renforcer sa position dans une conversation
Exemples en pagaille (Chérie, ça va couper !)
Voici quelques exemples qui vous parleront probablement :
En couple :
Anne : Tu te rends compte ? J'ai remporté mon appel d'offres ! On a été la seule boîte à considérer la résistance au changement dans l'implémentation d'un ERP ! C'est fou ça, tu imagines les retombées ? Je vais enfin pouvoir me salarier !
Julien : Ah oui ? Pas mal en effet ! Bien moi aussi, j'ai eu une journée de folie ! Jean-Jacques m'a envoyé son intention d'investir 500 000 € si la BPI donnait son feu vert et qu'il y avait au moins un autre fonds dans la partie ! Allez viens on va fêter ça ! C'est notre année, je t'invite au resto !
Anne s'inscrit dans une dynamique de reconnaissance et de validation qui devrait lui permettre un renforcement en estime de soi. Au moment où elle le soutien de Julien, il se sent « menacé » et ressent le besoin de démontrer sa valeur en la surpassant. Il entre dans une compétition nonv llll-verbalisée pour démontrer que sa valeur est bien supérieure. En outre, l'utilisation de « On » et de « ça » crée la confusion pour instinctivement noyer le sujet qui est à fêter. Même si la joie semble partagée, Anne se sent invalidée et non-soutenue, ce qui peu entraîner à force du ressentiment, un sentiment de frustration et à force d'itération, une certain distance émotionnelle qui se creuse entre les deux partenaires.
À la maison :
Un repas du dimanche en famille, pendant lequel Jean-Jacques, président exécutif d'nu fonds d'investissement, et sa soeur partagent les vacances qu'ils ont passés chacun de leur côté avec leurs enfants respectifs :
Jean-Jacques : on a passé deux semaines merveilleuses à Hawaï... Bon j'ai un peu galéré pour faire passer tout ça en frais, mais bon, quand ça brasse, ça passe !
Sa soeur : Oui tu nous en a déjà parlé, et je ne compte pas les occasions pendant lesquelles tu nous a un peu nargué Luc et moi ! Nous, du coup, on a passé 3 semaines dans toute l'Europe. On a visité 5 pays, on a dormi dans des palaces tous plus classes les uns que les autres ; Et les enfants ont adoré ! Franchement un CSE, c'est quand même moins stressant que de réfléchir constamment à comment détourner légalement de l'argent ! LOL ! [NDG : oui, il y a des gens qui disent « LOL »]
Si Jean-Jacques cherche à partager son expérience et à recevoir de l'intérêt de la part de sa soeur et probablement des autres membres de sa famille, elle se sent menacée et cherche à prouver que son expérience est bien supérieure en durée, diversité culturelle et impact sur la famille. Le frère se sent dévalorisé et frustré, car son moment a été éclipsé par celui de sa soeur. À force, cela peut mener une rivalité fraternelle exacerbée, teintée de jalousie et nuisant à la qualité relationnelle des membres de la famille ; les parents s'ils interviennent, jouant aux arbitres de touches : « mais vous n'avez pas un peu fini de vous chamailler tous les deux ? »
[Si cela vous amuse, vous pouvez aussi prendre un repas pendant lequel des personnes âgées se comparent leurs bobos respectifs et les soins qu'ils ont reçus]
À la salle de sport :
Tu vois, avant je faisais près de 80 kilos de plus. Et j'ai décidé de me prendre en main, vu que les symptômes que je développais étais liés à ma surcharge pondérale. Je me suis fait opérer ensuite pour effacer « le tablier de peau ». Du coup j'effectue mes exercices de musculation petit à petit afin de progresser peu à peu et en sécurité.
Ah beh oui ! pour ma part, j'ai eu un grave accident il y a dix ans et je suis resté immobilisé sur une planche pendant deux ans et... [Mes maux sont plus forts que les tiens]. En même temps, ça m'a permis de penser à comment j'allais m'en sortir moi aussi, et ça m'a permis de monter ma boîte donc c'est cool ! [Je progresse plus vite et suis plus actif que toi]
Dans la salle de sport dans laquelle je vais me défouler trois à quatre fois par semaine, je rencontre pas mal d'entrepreneurs et d'étudiants. On y fait des rencontres fortuites et parfois avec des personnes qui ont des histoires extraordinaires à partager. Cette personne qui avait autrefois une surcharge pondérale et qui a décidé de se prendre en main sur ce périmètre plutôt que de continuer à se morfondre, je l'ai vraiment rencontré. Bien sûr, je vous ai totalement inventé ce qu'aurait été ma réponse, si j'avais été un parfait... mmm... comment on dit déjà... ah, la rédaction de Be A Boss, qu'on ne dit pas ça ! Mais analysons un peu cet échange : Alors que le premier s'évertue à partager un peu des expériences qu'il a traversées, le second tente maladroitement de lui dire : « va, je comprends ce que tu dis, c'est dur hein ? ». Alors qu'en fait, il s'en fout ! Bien sûr il est bien probable que le premier ait à force de moins en moins envie de se livrer ainsi et surtout à cet individu « qui ramène tout à lui » !
Pour éviter ce jeu ou en sortir
Pour sortir de ce jeu et éviter d'y rentrer, l'idée est ce jeu vraiment tout d'abord d'en reconnaître ses caractéristiques : comparaison constante, compétition pour obtenir la validation d'autrui et une dévalorisation des accomplissements de l'autre. Même si vous êtes tenté(e)s, avant de couper la parole car vous débordez d'enthousiasme, attendez que votre interlocuteur ait terminé de raconter ce qu'il a à raconter, et surtout, continuez à garder vos victoires pour vous, tant que le sujet de SON succès / expérience n'est pas clos. Ce qui veut dire que cette partie de la conversation est terminée quand les sentiments de celui ou celle qui partage en premier ont été validés et actés par des encouragements sincères :
« C'est génial que t'aies remporté ton appel d'offres ! Déjà, tu le mérites vraiment parce que t'as vraiment bossé dessus et puis, j'imagine que tu es fière de toi ! ».
En couple, il me semble essentiel d'arriver à communiquer ouvertement et d'aborder ses sentiments et ses insécurités. La communication non-violente, rappelle que dans une conversation, il y a les faits, et surtout l'effet des faits. C'est vital de créer un environnement de soutien. Pour cela, écouter activement plutôt que de vaquer dans vos pensées vous permet de vous recentrer sur ce que dit votre interlocuteur et vous pouvez ainsi enchaîner plus facilement avec quelque chose du type :
« A Hawaï ? Whouaou, vas-y raconte ! »
Soulignez enfin les aspects uniques de chaque expérience ou accomplissement, en résistant à l'envie de comparer avec les vôtres :
« Cinq pays ? En seulement trois semaines ? Quelle virée ! »
Une fois que le sujet est considéré comme clos, vous pouvez demander très naturellement :
« C'est bon, tu as fini, je peux te partager aussi ma journée ? »
Vous pouvez aussi entraîner votre cerveau à repérer ce qui va bien plutôt que de pointer ce qui ne va pas. Vous pouvez en effet vous éduquer sur ce type de biais cognitifs. Cela vous permettra progressivement de reconnaître les points positifs des personnes qui vous entourent, de bien mettre en avant les besoins de votre interlocuteur et de surtout souligner les efforts et les progrès. Par exemple à la salle de sport, vous pouvez ainsi choisir l'axe de la reconnaissance des qualités intrinsèques pour viser une collaboration constructive et créatrice de valeur :
« Whouaou ! Quelle détermination ! C'est absolument énorme ! Et ton courage ! Gros respect ! Je serais très preneur de tes conseils de sécurité pour le coup, car parfois je me fais un peu mal au dos quand j'essaie de développer mes épaules ! Ça te dit qu'on s'entraîne ensemble la prochaine fois que tu viens, je pense vraiment qu'on peut s'apporter mutuellement des choses et que l'on peut passer un bon moment ensemble ! »
Dans tous les cas, favorisez au mieux tout ce qui va être vecteur de collaboration plutôt que de compétition et adoptez une attitude positive et soutenante.
Sortir des jeux ou éviter d'y rentrer, cela a des vertus extraordinaires qui sont largement mésestimées. Cela améliore considérablement la qualité de la communication, réduisant les malentendus et les conflits. Cela favorise aussi un état interne plus serein, renforce les émotions positives et protège le territoire personnel de chacun et des limites qui y sont accordées. Cela favorise l'autonomie et permet de véritablement rentrer en relation car cela mène à des interactions plus authentiques et harmonieuses, à un meilleur équilibre émotionnel et un développement personnel bien plus équilibré. Chacun peut ainsi s'épanouir pleinement dans des relations basées sur la confiance, le respect et la coopération, tout en réduisant le stress et l'anxiété. Donc on attend quoi ? On continue à parler des problèmes ou on commence à s'intéresser vraiment aux solutions ?