[Tribune] Rupture conventionnelle : un succès qui peut cacher certains vices
Publié par Alexia Alart Mantione le | Mis à jour le
Depuis sa création en 2008, la rupture conventionnelle connait un succès considérable. Une progression amplifiée par les assouplissements apportés par la Cour de Cassation. Pour se prémunir de tout risque de contentieux, le chef d'entreprise se doit toutefois de respecter un formalisme rigoureux.
Article mis à jour mardi 28 février 2017
Rien ne semble pouvoir arrêter la progression des ruptures conventionnelles, mode de séparation né en août 2008 et qui permet à l'employeur et à son salarié en CDI de rompre d'un commun accord le contrat qui les lie. Le salarié pouvant alors bénéficier non seulement d'une indemnité de rupture spécifique, mais également (sous réserve d'avoir acquis les droits suffisants) d'une prise en charge par l'assurance chômage. Avec 2,48 millions de ruptures homologuées depuis 2008, ce dispositif rencontre un succès considérable. 2016 a été une année record, enregistrant une hausse de 9,1 % par rapport à 2015, avec 389 862 ruptures conventionnelles homologuées (selon la Dares).
Une progression notamment due aux assouplissements apportés par les décisions de la Cour de cassation permettant d'utiliser le dispositif avec un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour arrêt maladie ou pour accident du travail, mais aussi avec un salarié en congé parental d'éducation, congé sans solde, ou congé maternité ou avec lequel il existe un différend.... Toutefois, la rupture conventionnelle est un acte juridique et le chef d'entreprise se doit de respecter un formalisme rigoureux s'il veut éviter une invalidation par l'administration ou un risque de contentieux.
Pensez à vérifier les formalités pour éviter l'invalidation
Si le Code du Travail impose un formalisme particulier à la rupture conventionnelle via la signature du formulaire Cerfa adéquat (un pour le salarié "quidam", un autre pour le salarié protégé avec autorisation de l'inspection du travail en lieu et place de l'homologation habituelle de la Direccte : article L.1237-14 Code du Travail et arrêté du 08.02.2012), il ne prévoit en revanche pas de formalisme spécifique pour le reste de cette procédure, concernant, par exemple, la convocation aux entretiens.
Il reste cependant important de respecter la procédure légale sans quoi l'administration peut ne pas homologuer la rupture conventionnelle. En 2016, sur les 419 562 demandes de ruptures conventionnelles enregistrées, 29 700 ont été rejetées par l'administration, soit 7% des demandes. Les deux causes principales d'une invalidation portent sur le non-respect des délais et les erreurs de calcul des indemnités.
Afin d'être homologuée, la procédure de rupture conventionnelle doit en effet respecter le délai de rétractation (15 jours calendaires) permettant à l'une ou l'autre des parties de revenir sur sa décision et le délai d'homologation (15 jours ouvrables) à l'issue duquel la rupture est validée par l'administration en cas de réponse positive ou de non-réponse. Les entreprises doivent donc être vigilantes et ne pas confondre jours " ouvrables " et jours " calendaires ", au risque de rompre le contrat en amont de l'homologation définitive de la DIRECCTE.
La deuxième cause d'invalidation est le calcul du montant de l'indemnité de l'employé, dont le plancher est fixé par le Code du travail ou la convention collective si elle apporte des précisions. Si le montant versé au salarié y est inférieur, la rupture conventionnelle ne sera pas homologuée, toutefois l'employeur et le salarié pourront acter une erreur matérielle dans un document signé par les deux parties, et le notifier à la DIRECCTE.
Pour éviter une invalidation, la DIRECCTE propose aux entreprises d'effectuer les démarches et de remplir le CERFA en ligne. Si cette option est séduisante, l'employeur doit demeurer prudent et s'assurer que les informations transmises soient conformes pour éviter tout contentieux.
Attention aux vices de procédure
Car au-delà de la validation par l'administration, il faut aussi garder à l'esprit - le nombre croissant de contentieux étant là pour le prouver- que la remise en cause par le salarié d'une rupture conventionnelle est possible pour vice de procédure ; comme pour vice du consentement (article L.1237-11 Code du Travail et article 1109 Code Civil) pouvant le cas échéant, aboutir à la nullité de ladite rupture provoquant soit la réintégration du salarié, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec indemnisation du salarié. Dans une décision récente, la Cour d'Appel de Nîmes a ainsi annulé une rupture conventionnelle conclue avec un salarié protégé au motif qu'elle ne respectait pas la procédure spécifique à ce profil qui nécessite une autorisation par l'inspection du travail.
C'est la raison pour laquelle nous recommandons fortement de prévoir un formalisme de sécurisation, pouvant prendre par exemple la forme d'une convocation formelle aux entretiens, avec mention de la possibilité d'assistance du salarié (à distinguer de la convocation à l'entretien préalable au licenciement), de procès-verbaux traçant la nature et la teneur des entretiens préalables à la signature du CERFA, ou encore d'une convention écrite de rupture pour certains profils de salariés (en arrêt pour accident du travail, en congé maternité...).
L'auteur
Alexia Alart Mantione est juriste en Droit du Travail senior au sein du réseau Exco. Titulaire d'un DEA de Droit du travail et Master 2 de Droit des Affaires, elle intervient en relations individuelles et collectives du travail auprès des entreprises.