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Prêt-à-porter, tout se transforme (ou presque)

Publié par Céline Tridon le - mis à jour à

Les affres de la fast fashion poussent le secteur du prêt-à-porter à revoir sa copie. En face, les industriels proposent des matériaux plus responsables et surtout moins générateurs de déchets. Circularité et innovation dicteront le futur du prêt-à-porter !

Ce qui est déjà fait n'est plus à faire : cela pourrait devenir la devise du prêt-à-porter. Le secteur opère sa mue verte - depuis quelques années déjà -, l'enjeu étant désormais de proposer la meilleure réponse possible à la génération de matériaux. Le recyclage, la gestion des déchets et la circularité amènent les industriels à plancher sur de nouveaux produits et process de création. La Loi Agec, relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, a en effet posé les fondements de pratiques plus vertueuses : il est désormais interdit de détruire ses stocks d'invendus, au profit du réemploi, du don ou du recyclage.

Plus récemment, fin 2023, de nouvelles exigences à l'échelle européenne ont été adoptées : la conception des produits textiles doit limiter leur impact sur l'environnement, les rendre plus fiables, réutilisables et réparables, mais aussi plus faciles à recycler et moins gourmands en matière de ressources consommées. Autrement dit, la mode doit se nourrir de l'existant et repenser sa façon de produire. En France, de nombreuses TPE et PME du secteur n'ont pas attendu la promulgation des lois pour adopter une démarche plus vertueuse. Au même titre que certaines défendent le made in France, d'autres veillent aussi à réduire leurs déchets au strict minimum. Ainsi, Missègle, fabricant de produits en laine dans le Tarn, revalorise ses chutes de matière (qui correspondent à environ 10 % de la production) à travers une gamme de vêtements écoconçus (pulls, bonnet, mitaines, chaussettes) et réunis sous la marque Les Bobines de Missègle.

L'exemple de The Gentle Factory

Autre exemple que celui de l'entreprise The Gentle Factory, qui entend valoriser ses restes de production de manière inédite. « Nous ne voulions pas continuer à faire davantage de vêtements fabriqués à partir de nos chutes de production. Le risque étant de devoir rajouter du polyester issu de bouteilles en plastique pour donner plus de solidité au fil en coton recyclé et de contribuer alors à une pollution par microplastiques..., commente Christèle Merter, présidente de The Gentle Factory. Nous avons donc cherché d'autres opportunités, reprenant l'idée que le coton est constitué de cellulose. Cette dernière permet de produire de l'acétate... » Et de fil en aiguille, germe l'idée de créer des montures de lunettes à partir des chutes de tee-shirts en coton !

Les trois fondateurs de The Gentle Factory (anciens ingénieurs dans l'industrie textile) se rapprochent alors d'un acteur local, spécialiste des produits optiques, capable de mener à bien cette opération. « Nous avons réalisé plusieurs tests, avec différents essais de micronisation et différentes quantités de coton recyclé. Notre objectif était de recycler un maximum de coton. Cela nous a demandé près de 18 mois de recherche et développement. Ensuite, un partenaire opticien nous a accompagnés dans le dessin des montures. Depuis, les lunettes sont en vente sur notre site », poursuit Christèle Merter.

Déchets. Quant à Thomas Huriez et Eric Boël, respectivement patrons de 1083 et des Tissages de Charlieu, ils ont repensé l'industrie du textile dans ses façons d'interagir avec le monde et de se lier à la nature. Ils en ont coécrit un livre, La Permaindustrie (éditions Eyrolles), où ils défendent, entre autres, l'idée de cycles vertueux, pour éradiquer pollution et surexploitation. « Dans les écosystèmes naturels, ce qui est rejeté est absorbé, d'où l'expression "les déchets des uns sont les ressources des autres". C'est de ces réalités observées que sont issus le mot et le concept de circularité », rappellent-ils.

Recycler le plastique

Et c'est dans ce contexte que de plus en plus de marques cherchent à donner une seconde vie au plastique, afin d'économiser les ressources naturelles, les énergies fossiles, mais aussi de lutter contre la pollution des océans, par exemple. Ainsi, la production de polyester recyclé apparaît comme la solution pour réduire considérablement l'impact environnemental des vêtements. Les industriels se tournent volontiers vers la récupération de bouteilles en plastique, à tel point que cette démarche est devenue un grand classique dans l'univers textile. Il existe d'ailleurs deux méthodes pour recycler le plastique.

La méthode mécanique : les bouteilles sont broyées, jusqu'à ce qu'elles soient réduites en toutes petites paillettes de plastique. Ces paillettes sont ensuite fondues et filées, pour devenir une fibre textile. Ou la méthode chimique : à l'aide d'additifs, les bouteilles sont décomposées en composants chimiques élémentaires du Pet, puis reformées en nouveaux polymères, qui sont ensuite transformés en fibres. Les fibres issues de plastique recyclé constituent aujourd'hui 14 % du polyester utilisé dans la mode, selon le 2020 Preferred Fiber and Materials Market Report. Mais l'objectif de l'ONG Textile Exchange est de porter la part du polyester recyclé à 45 % d'ici 2025. Cependant, le problème avec les vêtements dits synthétiques est que les microfibres qui s'en détachent se retrouvent dans l'environnement, comme l'évoquait ci-dessus Christèle Merter. Et ce, pour une durée indéterminée. C'est pourquoi, en avril dernier, les parlementaires français ont proposé un premier texte pour lutter contre ces polluants éternels, avec la loi dite Pfas.

Choisir ses matériaux

Ainsi, dès 2026, les polluants éternels entrant dans la composition des produits du quotidien seront interdits. Cela concernera notamment les textiles d'habillement. Pour Olivier Balas, vice-président de l'UIT (Union des Industries du Textile), cela laisse envisager un enjeu futur autour de la sélection des produits qui serviront de base aux matériaux de confection, tout en assurant la pérennité des entreprises. « Nous sommes d'accord pour ne plus utiliser le polluant éternel, mais nous demandons aux politiques d'accompagner cette période de transition. Nous risquons autrement de voir un grand nombre d'entreprises connaître de grosses difficultés financières, avec du stock sur les bras qu'elles ne pourront plus vendre. C'est pourquoi, il faut dès à présent se poser la question de la captation des ressources, afin qu'elles soient correctement triées et sélectionnées », argumente-t-il. D'où une nécessaire traçabilité.

L'UIT, en partenariat avec la start-up Textil'IA et IBM, a créé Odith, une solution qui permet aux entreprises de stocker et de partager efficacement des informations essentielles avec leurs partenaires sur les matériaux retenus. Cela inclut des données réglementaires et environnementales, mais aussi des informations telles que les labels, les certifications, l'origine des étapes de fabrication des produits, etc. « Il est important que nous ayons des éléments de localisation de la partie production, pour savoir comment a déjà vécu le produit, avant même sa commercialisation. S'il est recyclé et biosourcé mais qu'il a fait quatre fois le tour de la planète, cela ne sert à rien », glisse Olivier Balas. La limite de toutes ces démarches ? À force d'afficher coûte que coûte des schémas aux solutions environnementalement soi-disant meilleures, la bascule vers un certain greenwashing est réelle. Aux consommateurs de savoir rester vigilants sur les messages qui peuvent être passés par les réseaux sociaux ou sur des positions qui pourraient être comprises comme bienveillantes pour la planète... sans l'être forcément.

Un terrain d'innovation

« L'univers des tissus recyclés est devenu attractif, voire désirable. Aussi, il y a un vrai risque de greenwashing et de ses conséquences intrinsèques. Aujourd'hui, malheureusement, avoir un tissu marqué 100 % recyclé, issu de tant de bouteilles en plastique, cela peut vouloir dire tout et rien à la fois », abonde Grégory Delamarre, créateur de la marque Inspyrations. Cette dernière entend fabriquer des vêtements techniques outdoor selon une démarche industrielle intégrée, en petites quantités et en assemblant les vêtements par thermosoudure pour à la fois améliorer leur technicité et faciliter leur recyclage.

Pour Grégory Delamarre, le futur d'un textile plus responsable réside dans la durabilité des produits : « Il y a beaucoup d'innovations sur la recyclabilité et ça reste une très bonne nouvelle ! Ainsi, nous réussirons à réintégrer des déchets, du plastique, pour une meilleure performance environnementale. Cependant, il est indispensable, aussi, d'amener le consommateur à rentrer dans cette boucle-là et ce, de façon positive et non subie. » Pour l'entrepreneur, cela passe par des solutions de réparabilité totale et une réflexion nouvelle sur la durée de vie d'un produit : comment faire en sorte de vouloir le conserver toute sa vie ? Il s'agit donc de rééduquer le consommateur ou de l'embarquer dans une nouvelle expérience. Réparer ou faire réparer son tee-shirt deviendra-t-il plus tendance qu'en acheter un issu de la fast-fashion ?