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Les besoins criants des énergies renouvelables en investissements privés

Publié par Marie Miller, Chargé d'études en aménagement du territoire le - mis à jour à

Puisque les finances de la puissance publique ne sont pas infinies, dans un contexte d'inflation galopante et de limitations budgétaires post-covid, le recours aux financements privés s'impose comme une nécessité pour une part grandissante des infrastructures énergétiques.

Il y a quelques années à peine, le sujet essentiel était encore celui des infrastructures de soutien aux systèmes de production énergétique : « il faut que nous nous penchions davantage sur les systèmes de distribution : comment rendre les réseaux plus accessibles, comment investir dans les nouvelles technologies de stockage de l'énergie, comment tirer parti de la révolution technologique pour davantage mettre en avant les nouvelles sources d'énergie vertes », déclarait en 2015 Rune Bjerke, PDG de DNB, le plus grand groupe de services financiers de Norvège. L'énergie était abondante, l'électricité, bon marché.

Après des fermetures en masse de réacteurs nucléaires ou des problèmes de sécurité, comme en France, la donne a changé. Nul besoin d'attendre la guerre en Ukraine pour connaitre des tensions sur le marché de l'énergie. IoT, voitures électriques, datacenters... le nouveau monde numérique fait exploser les besoins en énergie dans un contexte de tensions sur l'offre électrique. Mais l'été 2022, hors normes sur le plan climatique, a aussi fait prendre conscience de l'urgence d'agir pour le climat. « Pour respecter les accords de Paris et limiter le réchauffement climatique à +1,5°C en 2100, remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables ne suffira pas ; il faudra en même temps retirer massivement et rapidement du carbone de l'atmosphère. Le secteur énergétique est à la croisée de ce double enjeu, car il est le premier émetteur de CO2 au monde », résume Alexandre Garese, fondateur de la société Kouros spécialisée en investissement dans les projets de transition énergétique. Cette dernière devra nécessairement compter sur l'investissement privé, les investissements publics ayant déjà fort à faire pour financer les futures nouvelles centrales nucléaires, redevenues l'alpha et l'oméga de la production d'électricité.

Le nucléaire rafle la mise publique

Après des années de domination d'une « idéologie anti-nucléaire [qui] s'est infiltré dans l'opinion publique et dans les services de l'État » selon Bernard Accoyer, ancien président de l'Assemblée nationale et directeur de l'ONG Patrimoine, Nucléaire et Climat, le nucléaire fait clairement son grand retour. Même en Allemagne, les Verts viennent de signer la mise en réserve de deux centrales nucléaires sur les trois qui devaient fermer avant la fin de l'année. Considérant qu'il s'agit d'une des énergies les moins carbonées, pilotable, disponible à la demande et en grande quantité, le nucléaire est désormais paré de toutes les vertus. La particularité française tient, elle, à la part d'électricité d'origine nucléaire dans son mix énergétique : jusqu'à 75% lorsque l'ensemble du parc de réacteurs fonctionne de façon nominale. Mais cette situation s'est considérablement dégradée, et le vieillissement de nombre de centrales complique la donne.

Politiquement et techniquement, la « stratégie correspond à la trajectoire vers un mix électrique composé à 40 ou 50% de nucléaire d'ici à 2050, tout au plus. Pour moi, un objectif plus adapté serait d'arriver à 3/4 de nucléaire et 1/4 d'énergies renouvelables, couplées à un peu de gaz si possible décarboné, comme c'est presque le cas actuellement. Ce qui reviendrait à mettre en service deux EPR par an dès 2035, soit 50 d'ici à 2060. », suggérait déjà en février 2022 André Merlin, fondateur et premier président du gestionnaire du réseau national de transport d'électricité RTE. Pro ou antinucléaire peuvent se mettre d'accord sur au moins un point : en dépit d'investissements qui s'annoncent colossaux, la production nucléaire sera toujours insuffisante pour couvrir les besoins, d'autant plus que, hors EPR de Flamanville, les prochains kWh nucléaires ne seront pas disponibles avant au moins une dizaine d'année. Trop tard et trop peu face aux besoins et à l'urgence. Si on exclut les centrales au charbon (trop polluante) ou à gaz (aux approvisionnements incertains), reste donc les EnR. « L'importance récente des énergies renouvelables dans le mix énergétique est révélatrice du fait qu'elles sont devenues essentielles au fonctionnement des économies. Les décideurs politiques aussi bien que les investisseurs en sont conscients. » Confirme Céline Tercier, Responsable dette infrastructure, pour Natixis Investment Managers International.


En matière d'énergie, « faire feu de tout bois »

Les investissements à prévoir sont là aussi de l'ordre de plusieurs centaines de milliards d'euros rien qu'en France. Idem dans le reste du monde : « Le besoin de financement de la transition énergétique d'ici 2050 a été chiffré par l'IRENA, l'Agence Internationale des Énergies Renouvelables, à plus de 131 trillions de dollars. La décarbonation de l'énergie nécessite donc l'implication du secteur public comme du secteur privé. Le secteur public dispose d'outils (règlementation et subvention par exemple) pour orienter les filières énergétiques et stimuler l'innovation. Le secteur privé dispose quant à lui des outils pour financer l'innovation et le déploiement des nouvelles infrastructures de production et de distribution des énergies décarbonées », précise encore le fondateur de Kouros, Alexandre Garese.

Les besoins sont immenses et les dossiers nombreux, du solaire à l'éolien en passant par la géothermie ou encore l'hydrolien. « Le solaire est facilement mobilisable, et c'est un investissement quasi exclusivement privé », défend ainsi Daniel Bour, président d'Enerplan, le syndicat des professionnels du solaire. Même son de cloche du côté de l'hydrolien, qui attend désormais des financements pour avancer par exemple sur le projet de ferme hydrolienne au large de Cherbourg, avec des puissances qui sont loin d'être anecdotiques : « avec un potentiel de 3GW pour le seul Raz Blanchard ce site est l'un des plus puissant au monde. La production annuelle est estimée entre 11 et 13 TWh, soit l'équivalent d'un EPR. Une véritable force pour renforcer l'indépendance énergétique de la France », explique Thomas Jaquier, président de la société HydroQuest. Sans impact paysager ou sur la flore marine, et produisant de façon continue, les hydroliennes ont par exemple de sérieux arguments à faire valoir face aux broncas suscitées par les éoliennes offshore.

Mieux flécher les flux de capitaux

Si la montée en puissance des exigences ESG en matière d'investissement rend les investissements dans les infrastructures de transition énergétique particulièrement attractifs, ce n'est pas pour autant que les grands fonds d'investissement se précipitent pour apporter des capitaux. « Une partie du monde de la finance est encore sous l'emprise des drogues d'hier, mais finira par s'en sevrer sous la pression du réel. Aujourd'hui, d'ailleurs, nous avons plus que jamais besoin du monde de la finance, pour que les projets énergétiques passent d'une culture de la rente à une culture de la rentabilité », explique Alexandre Garese. Et de préciser que « ce que la transition énergétique impose aux investisseurs, c'est de réintroduire la variable du temps long, en intégrant au calcul d'un rendement la variable de sa pérennité. » Il s'agit pour la finance, non d'une révolution mais d'une évolution des mentalités, sous pression des souscripteurs et de l'opinion publique, mais aussi sous pression d'une réglementation qui évolue en ce sens.

Les choses pourraient notamment s'améliorer avec l'entrée en vigueur de la directive SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) en Europe, dont l'objectif est « une information plus transparente sur l'intensité avec laquelle les produits financiers prennent en compte les caractéristiques environnementales ou sociales ou investissent dans des investissements durables », détaille François Lett, Directeur du département éthique et solidaire EcoFi. Cette directive a pour but principal de responsabiliser les investisseurs en limitant les possibilités de greenwashing. Elle devrait logiquement renforcer la matérialité des ISR dans les choix d'investissement, et donc favoriser, entre autres, les investissements dans les infrastructures liées à la transition énergétique.

Techniquement parlant, toutes les solutions sont donc sur table. Si le nucléaire risque fort de rafler la mise des financements publics, les infrastructures d'EnR devront pouvoir compter sur les investisseurs privés pour se développer enfin à une échelle correspondant aux besoins, sous réserve toutefois que les incitations à le faire reçoivent plus de publicité, et que la réglementation financière aille dans cette direction. Si les choses évoluent progressivement en ce sens en Europe, les Etats-Unis tendent à freiner des quatre fers, et une bataille de normes et de règlementations financières s'est déjà engagée.

Pour en savoir plus

Marie Miller, Chargé d'études en aménagement du territoire, mon rôle est d'organiser le traitement des informations collectées, pour développer des outils d'observation et mettre en place des stratégies. Je conduis des études dans différents champs d'intervention, dans le but de donner des orientations stratégiques à la collectivité et à aider à la définition des politiques publiques.