Le CIR fête ses 40 ans, retour sur les fondamentaux !
Publié par Charles-Edouard de Cazalet le - mis à jour à
D'abord amputé, puis raboté, enfin déduit... le dispositif fiscal du Crédit d'Impôt Recherche (CIR) a d'abord pâli avant l'annonce de la création d'un crédit d'impôt industrie verte (CIR industrie verte), présentée par le Président de la République Emmanuel Macron, dans son allocution du 11 mai 2023, qui vise à soutenir les technologies dédiées à la décarbonation et à privilégier la production européenne.
A sa genèse, de nombreuses réflexions ont été portées par l'Etat depuis septembre 2022. Premièrement, il a été question d'un CIR vert pour favoriser les dépenses orientées vers la transition écologique. Cependant, devant la délicate question de l'attribution de ce dernier (quelles typologies d'entreprises à retenir ? Quelle nature de travaux réalisés ? ...), le gouvernement a ensuite envisagé un crédit d'impôt Industrie Verte, indépendant du CIR. Ici un autre point bloquant s'est présenté : comment financer ce nouveau dispositif de financement public sans dénaturer le crédit impôt recherche, mesure phare du gouvernement qui permet de soutenir efficacement les activités de Recherche et Développement (R&D) sur l'ensemble des secteurs industriels et numériques.
Le Crédit Impôt Recherche (CIR) : un dispositif fondamental à préserver
Tout à chacun sait que le CIR a un rôle crucial dans le financement de travaux de recherches et de développement, ô combien utiles et nécessaires pour arriver à rendre l'industrie française souveraine (belle, décarbonée, performante, vecteur d'emplois et autonome). A titre d'exemple, l'innovation "Windy" d'ENEDIS, comme le souligne l'Association Nationale Recherche Technologie (l'ARNT) dans son dossier intitulé : "Ces innovations qui n'auraient pas vu le jour en France sans le Crédit d'Impôt Recherche (CIR)" de 2022, a été conçu via un projet de recherche partenariale avec EDF R&D pour lequel le CIR a contribué à sécuriser l'émergence de cette nouvelle solution. A ce jour, le Crédit Impôt Recherche compte donc 26 900 bénéficiaires et représente 60% des aides publiques à l'innovation. Son impact positif sur les entreprises bénéficiaires a été démontré par la dernière étude de France Stratégie publiée en 2019 : grâce au CIR, 1€ de CIR alloué amène à une dépense en R&D de 1,2 et 1,5€ supplémentaire, la productivité au travail augmente de 1,7% en moyenne et l'embauche des jeunes docteurs a quadruplé en 8 ans. D'ailleurs, la quasi-totalité des pays de l'OCDE (34 sur 38 pays) a adopté un système similaire aujourd'hui alors qu'on atteignait péniblement 50% il y a une vingtaine d'années. A ce titre, la Suisse et l'Allemagne, longtemps réticentes, ont récemment créé leur propre dispositif. En outre, reconduit année après année, les Etats-Unis ont finalement pérennisé leur "Research & Experimentation Tax Credit" en 2015.
Le Crédit d'Impôt Industrie verte et ses possibles conséquences néfastes sur le CIR
Arrive enfin la réponse tant attendue par les acteurs de l'économie de demain : la création d'un crédit d'impôt industrie verte. Une bonne chose pour les industriels qui souhaitent mener des projets écologiques en faveur de l'environnement, des entreprises plutôt opportunistes qui surfent sur la vague pour subsister et des petits acteurs véritablement engagés, sur lesquels reposent d'ailleurs la lourde tâche de trouver et de développer les technologies innovantes ou des actifs incorporels (brevets, licences) permettant in fine à la France de devenir le leader de l'industrie verte et des technologies : éolien, hydrogène vert, panneaux solaires, pompes à chaleur et batteries et véhicules électriques. Quoi qu'il en soit, le CIR a résisté et c'est tant mieux ! Aujourd'hui le ministre de l'Économie, Monsieur Bruno Le Maire, a annoncé vouloir préserver le CIR, le "sanctuariser". Comme un point d'honneur "parce qu'il est vital pour beaucoup d'entreprises. Parce qu'il est très attendu par les investisseurs et c'est un des avantages compétitifs de la France". Nous nous en félicitons. Cependant, la création du Crédit d'Impôt Industrie Verte pourrait néanmoins avoir des conséquences négatives sur le CIR et en temps d'instabilité financière, tâchons de ne pas envoyer de mauvais signaux aux investisseurs internationaux et aux entreprises françaises. D'autant plus dans un contexte de concurrence mondiale et de crise de financement des start-up. En effet, comme cela a été présenté dans le projet de loi industrie verte, le financement du Crédit d'impôt industrie verte (pour lequel un budget de 500 millions d'euros par an est prévu), se ferait par la suppression de certaines dépenses éligibles au CIR pour un montant annuel de 300 à 400 millions d'euros, qui sont : - Le doublement des dépenses de jeunes docteurs, - Les dépenses de veille technologiques, - Les frais de propriété intellectuelle. Ce crédit d'Impôt industrie verte sera donc en partie financé par une économie sur le CIR.
L'objectif des 3% du PIB de la France aux projets de R&D dans la tourmente
Alors qu'elle a longtemps été considérée comme le pays le plus généreux en matière de soutien à la R&D, la France oscille péniblement aujourd'hui entre 2,2 et 2,3%1. Or, rappelons quand même que l'un des arguments majeurs qui a poussé l'Etat à mettre en place le CIR, créée en 1983, est de promouvoir la R&D en France. Il a ensuite progressivement été construit pour gommer certains défauts de l'écosystème de recherche privée en France : - L'incitation relative aux jeunes docteurs renforce l'attractivité des docteurs en entreprise et contribue à améliorer les relations entre la recherche publique et le privé (déjà touchées depuis 2022 par la réforme sur la sous-traitance publique) ; - Souvent le talon d'Achille dans la conduite des projets d'innovation, le poste de dépenses de veille technologique encourage les entreprises à améliorer la collecte bibliographique en amont. - Les frais de propriété intellectuelle incitent au dépôt de brevets pour lequel la France est globalement dynamique mais aujourd'hui largement dépassée par les pays d'Asie, les Etats Unis et l'Allemagne (7700 dépôts en France contre 17500 en Allemagne en 2022)2. Ainsi donc, avec le projet de loi industrie verte, actuellement à l'étude, ce sont 20 milliards d'euros qui vont être investis d'ici 2030 sur le territoire français (dispositif France relance 2030). Une bonne chose pour les travaux de Recherches & de Développement qui sont étroitement liés à la compétitivité de l'industrie française. Toutefois, ne touchons pas au CIR. Cela viendrait donner un signal négatif et d'instabilité aux investisseurs internationaux alors que la France regagne des places en terme d'attractivité sur l'échiquier mondial, enlever une partie du financement des start-up très consommatrices du CIR, alors qu'elles font face à une crise du financement de la part des fonds d'investissement et donner un signal négatif aux dirigeants des PME/ETI et grands comptes français qui ont plus que jamais besoin de visibilité pour investir sur des projets de R&D et faire face aux nouveaux défis des crises récentes. 1. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/depenses-recherche-et-developpement-experimental-en-franceresultats-2020-et-estimations-2021-88624 2. Regard sur les activités de demandes de protection de propriété intellectuelle en 2022 - Innovation Insights (financeinnovation.fr)
Charles-Edouard de Cazalet est co-fondateur / Directeur associé de Sogedev - cabinet créé en 2002 référencé CIR/CII par la Médiation des entreprises - et Directeur associé d'EPSA Innovation depuis 2020.
Diplômé d'un « DESS Finance d'entreprise », obtenu à l'université Paris-Dauphine en 1999, Charles-Edouard de Cazalet a démarré sa carrière dans les opérations de haut de bilan (capital risque, M&A, LBO) avant de créer 2 entreprises dans le domaine des telecoms (Phonevalley) et des services à domicile, cédées depuis. Profitant de son expérience entrepreneuriale, il a co-fondé Sogedev avec Thomas Gross, cabinet de conseil spécialisé dans la mise en place des dispositifs d'aides publiques pour les entreprises (fiscalité de l'innovation, Bpifrance, aides à l'investissement, aides export, etc.). A la suite du rapprochement de Sogedev avec EPSA, Charles-Edouard de Cazalet devient Directeur associé d'EPSA Innovation tout en conservant son poste de Directeur associé de Sogedev.
Il est également membre depuis plus de 10 ans de l'association CroissancePlus, premier réseau des entrepreneurs de croissance.