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L'argent : moteur de motivation ou simple illusion ?

Publié par Vincent Caltabellotta le | Mis à jour le

Au moment même où un nouveau gouvernement s'installe, il "découvre" une dette de plus de 6% du PIB. Depuis sept ans, face aux défis de notre économie et aux crises successives ; pandémies, inflation, flambée des prix de l'énergie ; l'État a réagi en distribuant une multitude d'aides financières.

Parmi les soutiens : Aide à l'embauche, financement de l'alternance, chèques énergie, primes d'activité, prêts garantis par l'État (PGE), augmentation des salaires des professions de santé, des enseignants, réévaluation du SMIC, disparition de la redevance TV, maintien des salaires pendant le COVID et tant d'autres.

Malgré cet afflux massif d'argent distribué, il est frappant de constater que le niveau de satisfaction des Français envers l'executif n'a jamais été aussi bas. A se demander si le bien-être général s'est réellement amélioré. Les Français ont finalement traversé ces crises, mais le sentiment de satisfaction ne suit pas malgré les milliards débloqués. Pourquoi ? Parce que chaque aide, chaque augmentation, a souvent été perçue non pas comme un bonus ou une source de motivation, mais comme un rattrapage, un dû, un geste obligatoire attendu de la part des institutions.

Depuis des siècles, l'argent est perçu à tort comme l'un des principaux moteurs de la motivation humaine. Que ce soit dans la vie personnelle pour réaliser ses rêves ou professionnelle pour amener les équipes vers la performance, la perspective de gagner de l'argent semble motiver l'action. Mais cette croyance est-elle réellement fondée ? En partie oui, mais en partie seulement. Si l'argent peut certes répondre à nos besoins fondamentaux, motiver une mise en action, il ne peut véritablement nous rendre heureux, surtout sur le long terme. Autrement dit, l'argent peut "motiver" à court terme, à certaines conditions seulement mais ne fait pas le bonheur.

C'est le célèbre paradoxe de l'argent, théorisé par l'économiste Richard Easterlin. Ce paradoxe démontre que si une augmentation de revenus peut améliorer le bien-être à court terme, cet effet s'efface rapidement à mesure que les besoins de base sont satisfaits. Au-delà d'un certain seuil, l'augmentation des revenus ne produit plus de "bonheur" supplémentaire. Ce phénomène s'observe autant au niveau individuel que collectif : les Français ont vu leurs revenus globalement protégés, mais la satisfaction, elle, ne suit pas. L'argent devient alors une attente, non plus un moteur de motivation. Et l'attente est source de tension.

Dans le contexte des entreprises, ce paradoxe se manifeste continuellement. De nombreux salariés, bien que bénéficiant d'augmentations de salaire ou de primes, ne trouvent plus dans l'argent une motivation durable. Au contraire, plus les récompenses financières deviennent régulières, plus elles sont perçues comme normales, voire automatiques, ce qui réduit leur impact sur la motivation. Si la récompense ne vient pas, l'insatisfaction s'installe avec le désire d'aller voir ailleurs.

On sait maintenant que l'argent est plus une source d'implication que de motivation. C'est à dire que si un bon salaire nous amène à rester dans l'entreprise, il ne nous fera pas plus aimer notre travail. Et rester, ne veut pas dire être plus performant. Alors bien sûr il y a une forme de devoir éthique ou de culpabilité à travailler plus parce qu'on est bien payé. Mais est-ce réellement rentable pour l'entreprise ?

On parle alors de justice procédurale et justice distributive. Cette théorie, développée par les chercheurs John Thibaut, Laurens Walker et Jerald Greenberg, mettent en évidence que ce n'est pas seulement la quantité d'argent qui influence la motivation, mais surtout la raison et la manière dont il est attribué.

La justice distributive concerne la perception de la valeur de l'argent obtenu. Si un salarié perçoit 1000€ il sera satisfait. Mais s'il estime que ce montant n'est pas à la hauteur de l'effort fourni, cela peut causer un mécontentement, même avec une augmentation. C'est là qu'intervient la justice procédurale. La théorie démontre que les collaborateurs sont plus enclins à accepter des décisions s'ils estiment que les méthodes utilisées pour les prendre sont claires, justes et respectueuses, même avec un gain plus faible. En clair il est plus satisfaisant de recevoir 800€ par un processus clair, expliqué à l'avance et juste que 1000€ tombés du ciel sans explication et sans vision globale. L'argent n'a de valeur que par rapport à un contexte.

N'oublions pas que la motivation est etymologiquement la capacité à mettre en mouvement une personne. C'est une réserve d'énergie qu'on décide, ou non de mettre en action. La satisfaction est un sentiment a posteriori de l'expérience vécue. Les deux sont bien différents. La vraie motivation, la motivation intrinsèque, cette envie de bien faire pour des réaisons personnelles et non pour une récompense est liée à une vision, une perspective un sentiment d'appartenance, une envie d'apprendre ou de trouver du sens. La satisfaction est la perception d'une forme de justice entre l'effort et la récompense dont le montant est secondaire, si on en a accepté la logique à l'avance.


Ainsi, dans les entreprises, il est primordial de ne pas voir l'argent uniquement comme une valeur. L'argent, même en grande quantité, ne suffit pas à lui seul à garantir le bien-être, la motivation ou la satisfaction des individus. Dans le contexte économique actuel, il est donc crucial de repenser notre rapport à l'argent, non seulement en termes de montant, mais surtout en termes d'équité, de justice et de vision. Car c'est peut-être là, et non dans l'argent lui-même, que se trouve la clé d'un bien-être durable qui maintiendra la motivation à long terme.


Vincent Caltabellotta - Directeur de Be a Boss, entrepreneur et conférencier spécialiste de l'avenir des entreprises et du commerce, il aide les entreprises à intégrer l'humain et la technologie dans leur transformation. Auteur de "Inventons l'entreprise du 21ème siècle" et "Le Vendeur Augmenté" il a également fondé Yoomonkeez, une plateforme de microlearning.