[Tribune] L'autonomie des sociétés à l'épreuve de la rupture brutale
Publié par Me Nicolas Lisimachio, avocat associé le - mis à jour à
Lors d'une rupture brutale des relations commerciales, les plaideurs oublient souvent qu'une société est juridiquement autonome. Ce principe, appliqué récemment par la Cour de cassation, écarte-t-il vraiment le risque de contagion ?
Par Me Nicolas Lisimachio, avocat associé, Brunswick Société d'Avocats
Me Nicolas Lisimachio est spécialisé dans le contentieux des affaires et plus particulièrement dans la résolution des différends commerciaux (notamment la rupture brutale des relations commerciales établies, la concurrence déloyale et le recouvrement de créances).
Le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies (RBRCE) sanctionne, par une condamnation à des dommages et intérêts, la rupture de relations commerciales stables et continues sans que celle-ci soit assortie d'un délai préalable suffisant, tenant compte de l'ancienneté et des spécificités de ces relations (par exemple, dépendance économique de la victime). Appliqué à ce régime, le principe de l'autonomie des sociétés interdit qu'une confusion soit faite, y compris au sein d'un groupe, entre les relations commerciales entretenues par différentes sociétés.
Citons un exemple : si les sociétés B et C, entités appartenant à un même groupe, rompent brutalement les relations qu'elles entretiennent avec A, cette dernière ne pourra pas cumuler la durée de chacune desdites relations pour se prévaloir d'une ancienneté plus importante et, donc, d'un préavis plus long. Dans le même ordre d'idées, si l'entreprise A est en état de dépendance économique uniquement à l'égard de B, elle ne peut mettre en avant cette circonstance auprès de C.
L'immixtion, une tentation à proscrire
Attention cependant, car il est fréquent qu'une société mère s'immisce dans la gestion de sa filiale et décide, à sa place, de rompre certaines de ses relations commerciales. Et parfois brutalement. Dans un tel cas, engage-t-elle sa propre responsabilité ? La jurisprudence reste hésitante, mais le risque ne peut être écarté, en particulier si la mère ne s'est pas contentée de notifier la rupture, mais a participé activement à la relation commerciale aux côtés de sa fille (paiement des factures, réception des marchandises, etc.)
La prudence est de mise envers l'hérédité
Enfin, l'autonomie des sociétés ne fait pas obstacle à ce que des relations commerciales entretenues par une première entreprise soient réputées poursuivies par une seconde, pourtant juridiquement distincte. Tel est notamment le cas lors d'une cession de fonds de commerce, d'une transmission universelle de patrimoine ou même si un contrat prévoit expressément la poursuite de ces relations commerciales.
Le remplacement de l'une des parties à la relation d'affaires initiale est alors indifférent dans l'application du régime de la RBRCE, dès lors que les nouveaux partenaires se sont placés dans la continuité de celle-ci. Ces derniers pourront alors, en cas de rupture brutale, se prévaloir de toutes les caractéristiques de la relation originelle, s'agissant, notamment, de la détermination de l'ancienneté.
Ce qu'il faut retenir...
+ Les circonstances d'une rupture doivent s'apprécier au niveau de chaque société, prise individuellement.
+ Attention aux risques liés à l'immixtion d'une société mère dans la conduite des affaires de sa fille.
+ Les relations nouées avec une première entreprise peuvent être prises en compte lorsqu'elles ont été poursuivies par une seconde entreprise.