[Tribune] Ne tombez pas dans la dépendance (commerciale)
Publié par Me Nicolas Lisimachio le | Mis à jour le
La dépendance économique d'un fournisseur est aujourd'hui devenue un véritable sujet de préoccupation pour les entreprises. Ce risque justifie-t-il que ces dernières diversifient à tout prix leurs fournisseurs, quitte à renoncer en partie à des relations loyales et efficaces ?
N'est pas dépendant qui veut. La notion d'état de dépendance économique (EDE) s'entend en effet strictement : il s'agit de la situation dans laquelle se trouve involontairement une entreprise (fournisseur ou client) qui ne dispose pas de solution équivalente (tant techniquement qu'économiquement) pour remplacer l'un de ses principaux partenaires. Ensuite, l'EDE d'un partenaire n'est pas, en soi, synonyme de responsabilité pour l'entreprise et deux hypothèses doivent être distinguées.
Conditions complexes à démontrer
Pour prétendre subir une exploitation abusive de son EDE (art. L. 420-2 du code de commerce), un fournisseur doit le démontrer en caractérisant cinq critères cumulatifs : la notoriété de son partenaire, l'importance de sa part de marché, la part de son chiffre d'affaires réalisé avec le partenaire dans son CA total (de l'ordre de 20-25 %, selon les autorités européennes), l'absence de solution équivalente. Enfin, les facteurs qui ont conduit à la situation de dépendance doivent lui être étrangers et ne doivent pas résulter de ses propres choix stratégiques. Il doit ensuite prouver que le partenaire a eu un comportement "anormal" et que ce dernier affecte sensiblement le fonctionnement ou la structure de la concurrence sur le marché.
Autant de conditions complexes à démontrer. C'est pourquoi, en pratique, les actions menées sur le fondement de l'exploitation abusive d'une EDE n'aboutissent que de manière très exceptionnelle.
C'est ainsi qu'un fournisseur prétendra plus souvent subir des pratiques abusives (art. L. 442-6 du Code de commerce) : avantages disproportionnés, déséquilibre significatif des relations, rupture brutale des relations commerciales, etc. L'EDE est alors considéré comme une circonstance aggravante dont les juges tiennent compte dans leur appréciation tant des fautes commises que des préjudices subis. Ainsi, la jurisprudence retient que l'EDE de la victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies justifie l'octroi d'un délai de préavis plus long et, par voie de conséquence, d'une indemnisation supérieure.
Éviter une exclusivité d'approvisionnement
Et l'appréciation de l'EDE dans ces hypothèses est beaucoup plus souple : il suffit que la part du chiffre d'affaires du partenaire représente au moins 20 % du chiffre d'affaires total du fournisseur et que celui-ci ne se soit pas placé volontairement dans cette situation ou n'ait rien fait pour en sortir.
C'est précisément sur ce dernier critère que les entreprises peuvent (et doivent) jouer pour concilier le maintien d'une relation soutenue avec un fournisseur et la gestion du risque lié à son éventuel EDE. L'entreprise doit notamment éviter de consentir une exclusivité d'approvisionnement, rappeler dans le contrat que le partenaire doit diversifier sa clientèle, consulter chaque année les comptes de son fournisseur pour surveiller la part qu'elle représente dans son chiffre d'affaires total et écrire régulièrement à ce dernier soit pour l'alerter sur son EDE, soit lui rappeler l'intérêt d'une diversification de sa clientèle. Ces précautions écarteront avec efficacité les risques de voir l'EDE d'un fournisseur retenu contre l'entreprise, quand bien même il réaliserait une part importante de son chiffre d'affaires avec cette dernière.
Me Nicolas Lisimachio
Associé chez Brunswick Société d'Avocats, Me Nicolas Lisimachio est spécialisé dans le contentieux des affaires et plus particulièrement dans la résolution des différends commerciaux (notamment la rupture brutale de relations commerciales établies, la concurrence déloyale et le recouvrement de créances).