Quels secteurs d'activité menacés par l'IA ?
Publié par Véronique Meot le - mis à jour à
Communication, marketing, finance, assurance, commerce, droit, santé, éducation, art, Tech, bien sûr... la liste des secteurs affectés par l'intelligence artificielle (IA) est longue et non exhaustive. Sans aucun doute, les entreprises doivent se transformer à la faveur des intégrations d'outils. La disparition annoncée de certains métiers semble en revanche moins probable... en l'état actuel des connaissances.
À la succession d'études plus alarmistes les unes que les autres, le LaborIA, programme de recherche lancé par le gouvernement pour mesurer les effets de l'intelligence artificielle (IA) sur l'emploi et les conditions de travail, oppose avec ses premiers résultats, publiés au mois de mars, un état des lieux plus nuancé. « L'intelligence artificielle concerne à peu près tous les secteurs d'activité, avec une répartition assez homogène des usages, mais certains métiers s'y prêtent mieux que d'autres, notamment ceux qui évoluent avec des données structurées (service client, marketing, finance, comptabilité) », constate Jean Condé, directeur scientifique de Matrice, en charge de ce laboratoire.
Pour cet expert, ce n'est pas le secteur d'activité qu'il faut étudier, mais les tâches. Surtout, avec l'arrivée de ChatGPT, on assiste à un changement de paradigme. « Avant 2022, des IA spécifiques répondent aux besoins du management (par exemple les outils qui automatisent les tâches de production comptables), aujourd'hui l'IA générative génère du contenu (image, texte) permettant de réaliser une multitude de tâches, et s'inscrit dans une vision émancipatrice », explique-t-il.
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Pour rappel, l'IA générative est « une branche de l'IA qui se concentre sur la création de modèles et d'algorithmes capables de générer de nouvelles données », selon la définition donnée par ChatGPT lui-même. Cet outil représente la partie immergée de l'iceberg. Ainsi argumente François Le Corre, consultant indépendant dirigeant de Round Data, « ChatGPT provoque une prise de conscience des capacités des IA, mais elles sont déjà présentes dans les sites e-commerce costauds sous forme par exemple d'algorithmes de recommandations, invisibles aux yeux des internautes ». Tout n'est donc pas nouveau. Un peu d'histoire... Le chercheur français Yann le Cun a reçu le prix Turing 2018 pour ses travaux sur les neurones convolutifs et le deep learning, il dirige actuellement la recherche sur l'IA chez Meta. Elon Musk a cofondé OpenAI dès 2015 (et aurait d'ailleurs créé une nouvelle start-up X.AI)... Les technologies évoluent et se diffusent.
Des bénéfices et des IA déjà en place
Dans les PME, 42 % des collaborateurs assurent gagner en efficacité grâce à l'IA, notamment en réduisant le temps consacré aux tâches administratives (étude sur l'utilisation de l'intelligence artificielle en entreprise, Aircall, 2023). En matière d'impact sur le travail, le rapport du LaborIA montre que « les représentations sociales diffèrent selon le degré de familiarité à l'IA : tandis que ses utilisateurs évoquent largement des impacts positifs, notamment en matière d'autonomie et de savoir-faire, ceux qui n'ont pas expérimenté l'IA redoutent des impacts négatifs, en particulier un délitement du lien social.
L'intensité de l'impact ressenti diminue à mesure que les projets d'IA gagnent en maturité ». L'intelligence artificielle aurait des conséquences positives et négatives sur les secteurs d'activité. Pour y voir plus clair, Philippe Trouchaud, Chief Technology & Products Officer, PwC France et Maghreb, décline les apports de l'IA en 7 catégories : « Les IA savent synthétiser, elles impactent donc les professions juridiques ; elles développent des programmes et vérifient leur qualité, le secteur informatique est donc concerné (le codage notamment) ; elles génèrent des documents, des contrats et impactent la finance, l'assurance ; elles maîtrisent l'extraction de données, la recherche avancée, la gestion des connaissances et la donnée augmentée (recherche de corrélation dans de grands ensembles de données)... elles devraient aider les collaborateurs qui travaillent sur l'accès à la connaissance ».
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Cerise sur le gâteau : les outils liés à l'IA générative sont peu onéreux et faciles à prendre en main. « Avec ChatGPT, tout un chacun détient un superpouvoir de générer du texte, une synthèse, de structurer une pensée... au lieu de dépenser de l'énergie à réaliser ce que la machine peut produire, les collaborateurs doivent se concentrer sur leurs facultés humaines », avance François Le Corre.
Le secteur de la relation client l'a bien compris, qui commence à automatiser les réponses aux questions simples, ce qui libère du temps pour que les conseillers gèrent les situations complexes. « Le conseiller peut exploiter ses valeurs humaines, son empathie, son intelligence émotionnelle dans son interaction avec le client, commente Julien Hervouët, CEO d'IAdvize, éditeur d'une plateforme conversationnelle, car l'IA décuple la capacité conversationnelle des marques, elle offre une expérience disponible H24, elle fournit également un outil de copilote au conseiller qui le rend plus efficace. »
Formation et accompagnement
L'humain ne devrait pas être remplacé par la machine, il doit apprendre à travailler avec et différemment. « Comme toute transformation, l'IA va réduire les besoins sur certaines tâches mais en créer d'autres, avec un bilan probablement positif à la fin. Au même titre que le numérique a fait évoluer certains métiers, l'IA représente un outil à intégrer dans les pratiques métiers ou les services pour créer de la valeur. Finalement, l'enjeu aujourd'hui est de former les collaborateurs à l'IA pour leur permettre de s'approprier ce "nouvel" outil de façon confortable », estime Caroline Chopinard, directrice générale Hub France IA.
Dans les PME, « la pénétration de l'IA se fera avec la digitalisation : sans donnée, pas d'IA "métier" aujourd'hui. Éventuellement, elles pourront intégrer des modèles pré-entraînés ou des LLM (Large Language Model, ndlr) bien en vogue en ce moment, dans certaines de leurs pratiques d'assistance sur des fonctions "support" (rédaction, traduction, synthèse, génération de contenus accrocheurs pour le marketing...), mais on est loin de pouvoir se passer de l'humain dans tous les cas. Regard critique et expertise humaine restent indispensables », ajoute-t-elle.
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De nombreuses actions sont portées en France et en Europe pour aider les PME à passer à l'IA. En Ile-de-France par exemple, le Pack IA accompagne les PME-ETI franciliennes pendant trois mois pour les aider à comprendre les enjeux de la numérisation, les process IA et les gains potentiels. Dans la région Grand Est, une aide est ouverte aux entreprises primo utilisatrices d'IA.
L'European Digital Innovation Hub des Pays de la Loire a lancé DIVA au mois de mars, un dispositif dédié aux projets de data et d'IA en Pays de la Loire. Le gouvernement a annoncé au mois de juin le lancement du programme Booster France 2030 pour accompagner la transformation numérique des PME et ETI (la priorité sera donnée aux entreprises ayant un effectif compris entre 10 et 2000 collaborateurs et réalisant plus de 250 000 euros de chiffre d'affaires) et leur permettre d'accélérer.
Limites et perspectives
Avant de sauter le pas et de s'approprier les intelligences artificielles, les dirigeants de PME doivent aussi prendre conscience de leurs limites. Au niveau réglementation, l'Europe a donné son feu vert le 14 juin à un projet de régulation de l'IA (Artificial Intelligence Act) pour limiter les risques liés à ces technologies.
Les pays membres doivent maintenant en négocier les contours pour une entrée en vigueur envisagée à l'horizon 2026. Le législateur veut s'assurer que les systèmes d'IA mis en oeuvre en Europe soient sûrs et respectent les droits fondamentaux en vigueur. Certains usages, à très haut risque, pourraient être interdits (comme les systèmes qui exploiteraient les données de personnes vulnérables ou les systèmes de score social).
La valeur perçue de l'IA est à mettre en balance avec ses aspects négatifs. En dépit des potentiels risques, notamment en matière de violation des droits d'auteur ou de cybersécurité, 74 % des dirigeants estiment que les bénéfices de l'IA générative priment sur les craintes qu'elle suscite, nous apprend l'étude menée par Capgemini Research Institute. « Un résultat que nous partageons, dans de nombreux secteurs, nous avons des projections montrant l'amélioration des rendements, la satisfaction client, le développement des ventes et la baisse des coûts de production », note Jean Condé. Mais dans les entreprises, les salariés s'inquiètent.
Un salarié sur deux (49 %) craint que l'IA le remplace au sein de son entreprise, selon l'étude signée Aircall, et 62 % des salariés redoutent que le manque de lien humain ait une incidence sur leur qualité de travail. Un point à ne pas négliger. « Face à l'IA, la question du sens au travail va se poser en termes d'engagement, de bien-être, de reconnaissance des efforts... car captées par la machine, les compétences peuvent être transférées à des tiers, indépendamment de leurs mérites, de leurs parcours et de leur formation », prévient Jean Condé.
Dans les entreprises, les RH et le management ont un rôle clé à jouer pour continuer à valoriser la qualité du travail effectué et l'effort... « Les patrons de PME devront traiter l'hétérogénéité des pratiques entre les collaborateurs qui maîtrisent les outils d'IA générative et les autres », conseille François Le Corre.
D'autres freins encouragent les dirigeants à ne pas tout miser sur l'IA : le coût écologique des entraînements, la question de la soutenabilité des modèles, la vulnérabilité d'un écosystème naissant, à l'avenir incertain... Yann Le Cun a annoncé à Paris en juin l'avènement de "JEPA" (Joint Embedding Predictive Architecture), nouveau modèle d'IA capable de raisonner... et parie sur l'émergence d'intelligence proche de l'intelligence humaine d'ici quelques années. Une manière d'enterrer ChatGPT ?