Quels seront les enjeux de l'industrie du jeu vidéo en 2024 ?
Publié par Valérie Dmitrovic le - mis à jour à
L'année 2023 a été marquée par des annonces spectaculaires, des sorties majeures, des succès fulgurants, mais aussi par des fermetures de studios, des procès retentissants, des annulations de projets et des licenciements massifs. Dans ce contexte tendu, il est difficile de prévoir avec certitude ce que nous réserve l'année suivante.
Tentons de faire le point en nous appuyant sur les insights de professionnels expérimentés, abordant des sujets tels que la bataille pour attirer l'attention du public, la redistribution potentielle des forces sur mobile et la délicate question de l'intelligence artificielle.
Licencier pour mieux régner
Plus de 9000 licenciements ont été enregistrés en 2023 dans le secteur. Un triste record. Unity, ByteDance, Embracer, Epic et Amazon ont contribué à près de la moitié de ces licenciements, témoignant d'une fragilité généralisée malgré une légère reprise de la croissance mondiale du secteur (+0,6 % à 184 milliards de dollars, contre -5,1 % en 2022).
La bulle spéculative générée par le contexte favorable de 2020 a laissé place à des résultats décevants en 2023, entraînant des licenciements massifs. Xavier Liard, co-fondateur de Dotemu et Playdigious, souligne que la remontée des taux d'intérêt, la prévisible baisse des performances et le repli du marché ont contribué à la méfiance des investisseurs, marquée par cette vague de licenciements. Après une période d'insouciance, les investisseurs adoptent une attitude attentiste, ce qui pourrait entraîner de nouvelles fermetures de studios en 2024.
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La grande bataille de l'attention
La monétisation de l'attention du public est devenue cruciale dans l'industrie du jeu vidéo, avec des modèles tels que le free-to-play, les jeux service, Xbox Game Pass, Amazon Prime et PlayStation Plus. La concurrence est féroce, non seulement au sein de l'industrie du jeu vidéo, mais également avec des acteurs extérieurs tels que Netflix, Youtube et Spotify. Fabien Delpiano, à la tête du studio Pastagames, souligne les défis liés à la visibilité des jeux dans un marché saturé.
Avec Microsoft consolidant son offre après le rachat d'Activision Blizzard King et Sony préparant de nombreux jeux service, la question se pose sur le sort des propositions plus modestes dans cette compétition acharnée des écosystèmes. Delpiano reste optimiste quant à la possibilité pour les petites entreprises de se démarquer avec des créations originales, même si la pression marketing des grandes entreprises demeure.
Un nouveau paradigme pour le jeu mobile ?
Le jeu mobile a généré près de la moitié du chiffre d'affaires de l'industrie du jeu vidéo en 2023, malgré une baisse de 2 %. Les décisions juridiques entourant le monopole d'Apple sur iOS ont attiré l'attention, avec Epic obtenant un succès partiel contre Google. Une redistribution des forces sur mobile pourrait être initiée, notamment avec des acteurs cherchant des alternatives aux stores principaux.
Xavier Liard, fondateur de StoreRider, s'intéresse à cette redistribution et estime que les joueurs attendent une alternative. Cependant, il souligne la nécessité de déployer des ressources significatives pour modifier les habitudes des joueurs. Delpiano est plus mesuré sur l'impact potentiel de ces décisions juridiques, notant que l'ajout de nouveaux endroits pour trouver des jeux peut bénéficier aux gros acteurs, mais sans garantie que les studios en profiteront directement.
Les récentes mesures restrictives du gouvernement chinois, visant à limiter les dépenses des citoyens dans les applications de jeu, suscitent des inquiétudes chez les investisseurs du monde entier. Tencent et Netease ont subi des baisses en bourse, et une diminution significative du marché chinois aurait des répercussions majeures à l'échelle mondiale.
Côté mobile en 2024, Apple semble moins investir dans son service payant Apple Arcade, tandis que Netflix continue de consolider son offre SVOD avec des jeux vidéo intéressants. Ces tendances opposées pourraient fournir des enseignements intéressants en 2024.
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L'IA, où le « copier/coller du futur »
L'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) pour générer du contenu est un sujet brûlant en 2023 et continuera de soulever des questions éthiques et techniques en 2024. La grève des scénaristes d'Hollywood a mis en lumière ce problème, qui affecte également la création de jeux vidéo. La compétition pour utiliser au mieux l'IA générative pourrait exercer une pression sur les entreprises qui n'adoptent pas cette technologie.
Xavier Liard estime que l'utilisation de l'IA pressurisera les entreprises qui ne l'exploitent pas, offrant des gains de temps significatifs dans la génération de contenu. Cependant, Delpiano souligne que l'originalité et la créativité ne peuvent être entièrement fournies par l'IA. Les préoccupations se tournent vers la possibilité de clones de jeux se multipliant rapidement avec l'IA.
En 2024, la question ne sera plus de savoir s'il faut utiliser l'IA générative, mais comment le faire correctement. La standardisation des contenus risque de repousser les consommateurs, et un excès d'IA pourrait être contre-productif à court terme. Les transformations induites par l'IA dans les usages et les métiers de l'industrie du jeu vidéo seront inévitables.
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Côté jeux : dans l'ombre de GTA 6
La non-sortie de Grand Theft Auto 6 avant 2025 a ouvert une fenêtre d'opportunité pour la concurrence. Les douze prochains mois s'annoncent relativement calmes en termes de titres mastodontes, laissant place à des jeux indépendants et à des productions de taille moyenne. Des titres tels que Hellblade 2, The Plucky Squire, Hollow Knight Silksong et des remasters de Silent Hill 2, The Last of Us Part II et Metal Gear Solid 3 sont attendus.
Conclusion
L'industrie du jeu vidéo fait face à des défis majeurs en 2024, allant des turbulences en Chine à la guerre pour capter l'attention du public, en passant par les inquiétudes liées à l'utilisation croissante de l'IA générative. Après une année difficile en 2023, marquée par des licenciements massifs et des fermetures de studios, le secteur doit se réinventer pour satisfaire les créateurs et les joueurs sans sacrifier la créativité au profit des seules grosses productions. En 2024, l'industrie du jeu vidéo devra faire face à ses contradictions de manière plus transparente et vulnérable que jamais.
Valérie Dmitrovic, Directrice générale Quest Education Group - Co-fondatrice Gaming Campus, campus étudiant en Europe exclusivement dédié à l'industrie du jeu vidéo. Sa mission est d'accompagner la croissance du marché en répondant aux besoins de recrutement des talents de demain. Lieux : Lyon, Paris et Bordeaux.