[Mentor] Changer l'impossible, avec Philippe Croizon
Publié par Mathieu Viviani le - mis à jour à
Résilience, persévérance et optimisme. Voilà les trois piliers qui ont permis à Philippe Croizon, amputé des bras et des jambes après un grave accident, de devenir un athlète multi-recordman, un conférencier de talent et bientôt même un humoriste.
"J'aime ma vie." D'emblée, Philippe Croizon donne le ton de la conversation. Durant 1h30, ce n'est pas un homme "abîmé par la vie" qui parle - et il y aurait de quoi - mais plutôt un optimiste endurci. Pour comprendre cet état d'esprit et le parcours qui l'a forgé, il faut remonter au point de départ, un certain 5 mars 1994.
L'accident
Un jour de repos comme les autres pour Philippe Croizon, 26 ans et ouvrier métallurgiste aux Fonderies du Poitou à côté de la ville de Châtellerault (Vienne). Il monte sur son toit pour démonter son antenne de télévision et touche par inadvertance la ligne à haute tension... La suite, on la devine : lutte entre la vie et la mort, secours en hélicoptère, hospitalisation, coma, douleurs et opérations chirurgicales à répétition. Les médecins font ce qu'ils peuvent pour qu'il conserve l'usage de tout son corps, mais en vain... Philippe Croizon est amputé des bras et des jambes. Vient l'étape d'après : réapprendre à vivre avec un lourd handicap. "Un premier challenge immense" selon ses mots. Plusieurs années d'épreuves. Dans cette tourmente, quelque chose d'inattendu se passe un soir dans sa chambre d'hôpital. Il tombe sur un reportage télévisé montrant la traversée de la Manche d'une jeune nageuse de 17 ans. "Je me suis dit, tiens, j'aimerais bien faire ça moi aussi. Et puis la pensée m'est sortie de la tête", explique le challenger.
Résilience
De l'année de son accident jusqu'à la traversée de la Manche le 18 septembre 2010, 16 années se sont écoulées. Si cet exploit a rendu célèbre Philippe Croizon, le chemin pour y arriver fut un véritable défi. À ce titre, il est d'autant plus intéressant et pourrait inspirer entrepreneurs en devenir et chefs d'entreprise. Philippe Croizon donne un premier éclairage : "Les gens se demandent la plupart du temps "qu'est-ce que je risque ?" On est éduqué dans le "fais attention". Il faut arrêter d'avoir peur. Une étude américaine montre qu'à la fin de leur vie, 85 % des gens citent le fait de ne pas avoir réalisé leurs rêves comme leur plus gros regret."
Challenge
Une fois décidé, arrive très rapidement l'étape indispensable de préparation et intrinsèquement celle de la constitution d'une équipe. Pour Philippe Croizon, cette étape fut cruciale. Préparateur physique, entraîneur sportif, préparateur mental, gestionnaire de planning et de logistique, médecins, prothésistes, autant de personnes ayant fait partie de la première épopée de Philippe Croizon qui anime cet entourage au quotidien. "J'avais instauré un principe selon lequel tout le monde avait le droit à la libre parole. Chaque mois, nous faisions une table-ronde où chacun pouvait s'exprimer à tour de rôle sur tous les sujets, y compris personnels. Lorsqu'il y avait des tensions notamment, cette méthode fut bénéfique. Il faut savoir discuter et faire preuve de tolérance car nous sommes tous humains", poursuit-il.
Surmonter le doute
Au fil de l'entraînement, les jours passent avec leurs moments d'épuisement, de périodes de stagnation et de doute : "ce dernier est le plus gros poison lorsqu'on est lancé dans un challenge", convient Philippe Croizon. Dans ce contexte, tenir ses objectifs devient difficile : "Lorsque je stagnais et que mon objectif à long terme s'éloignait car je n'arrivais pas à dépasser trois heures de natation par jour, je suis passé d'objectifs au mois et à la semaine à des objectifs au jour le jour. Sinon, on disjoncte car on n'arrive pas à suivre." Ce genre de situation, les entrepreneurs sont amenés à la vivre. Et cela se complique lorsque certains choix se révèlent de fausses pistes ou carrément des erreurs. Chaque personne le gère à sa manière, mais bien souvent l'isolement du chef d'entreprise ou du manager est l'attitude adoptée. Philippe Croizon le sait bien et il a quelques conseils à ce sujet : "Lorsqu'il est acculé, le chef d'entreprise peut croire qu'il est seul au monde et s'isoler. Il ne parle pas de ses difficultés. Il faut faire le contraire à mon sens. Dire à son équipe quand cela va mal est très sain. Cela peut remobiliser les équipes. Demander un coup de main n'est pas un déshonneur !"
Nouveaux défis
L'autre obstacle qui peut se présenter sur le chemin du défi est la critique. "S'il y a de la critique, c'est qu'il y a de l'incompréhension. Il faut réexpliquer, bien écouter car la critique peut permettre au final de se remettre en question. Mais parfois, cela ne marche pas. Alors il faut faire fi et continuer à avancer", conseille-t-il. Si avoir une équipe de confiance, solide, engagée, compétente est une condition indispensable à la réussite, débloquer des fonds pour monter sa société l'est tout aussi. Philippe Croizon a franchi cette étape plusieurs fois pour trouver des sponsors. Sa méthode : "Se débrouiller pour rencontrer physiquement son interlocuteur quitte à l'interpeller à l'improviste, lui parler avec ses tripes de son projet et ne pas le considérer comme juste un partenaire financier, mais comme un partenaire de confiance qui adhère à une aventure."
La victoire, et après ?
Pour tout un chacun, et notamment les entrepreneurs, il n'y a rien de plus satisfaisant que la victoire au bout de la tempête. Philippe Croizon l'a vécu lorsqu'il a touché la côte française un jour de septembre 2010. Et après ? Comment gère-t-on le succès ? "Pour ne pas trébucher, je me souviens des conseils de ma grand-mère. Elle m'encourageait toujours à me souvenir d'où je venais. J'ajouterai qu'il faut savoir repartir de zéro. C'est ce que j'ai appliqué pour réaliser mes autres défis comme relayer les cinq continents à la nage ou le rallye du Dakar en 2017", répond l'intéressé, avant d'ajouter qu'il faut rester soi-même et proche des personnes qui comptent pour soi. Désormais, on comprend mieux cette première phrase lancée au début la conversation : "J'aime ma vie." Il la répète d'ailleurs à la fin, mais la complète : "En fait, j'aime ma vie car j'en ai fait quelque chose. Je ne reviens pour rien au monde en arrière !" Noté Mr Croizon. Un dernier mot pour les entrepreneurs : "J'ai remarqué qu'un salarié heureux dans son entreprise, dit "dans ma boîte". Le contraire, c'est plutôt "dans cette boîte". Un entrepreneur doit avoir l'ambition de contribuer au bien-être de ses salariés. Tout est possible !"