Objet social : un changement de paradigme qui ouvre le débat
Publié par Pierre Lelièvre le | Mis à jour le
Quelle est la responsabilité de l'entreprise face à la société ? Alors que le projet de loi Pacte poursuit l'idée de modifier l'objet social des entreprises, le débat amené par cette démarche recouvre plusieurs enjeux, tant sur la stratégie que sur la gouvernance des entreprises.
La modification attendue de l'objet social des entreprises, amenée par le projet de loi Pacte, a ouvert le débat sur la finalité d'action des entreprises : la recherche du profit supplante-t-elle la poursuite d'un objectif social et environnemental ? D'un côté, ceux favorables à un rééquilibrage du rôle des entreprises dans la recherche de l'intérêt général en matière économique, sociale et environnementale. De l'autre, les contre, opposés à ce changement de modèle, arguant en particulier des risques juridiques qu'engendreraient une telle évolution sur les entreprises.
Tandis que l'article 1833 du Code civil dispose déjà que "toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés", on se projette dorénavant vers l'ajout de la mention : "elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l'intérêt général économique, social et environnemental".
Une différence qui marque une "inflexion importante", selon les termes de Rodolphe Durand, professeur de stratégie à HEC Paris, qui intervenait lors d'un échange organisé par HEC Paris et ViaVoice mardi 9 octobre 2018 : "Cela faisait deux siècles que le Code civil n'avait pas été modifié. Pour la première fois, on prend en compte les implications sociales et environnementales des entreprises".
Avantage concurrentiel
Dès lors, l'incertitude s'appuie davantage sur la manière dont les entreprises vont s'emparer de cette possibilité. "Avec cette idée, on revient sur le paradigme de l'entreprise qui était basé sur le seul profit, estime Alain Bloch, entrepreneur et directeur scientifique d'HEC Entrepreneurs. C'est une vraie révolution qui nous amène à voir poindre un début de consensus autour du fait que le profit ne peut être le seul objectif des entreprises".
D'autant que la réussite d'une telle mesure dépendra à la fois de la manière dont s'en saisiront les dirigeants mais surtout comment réagiront les consommateurs et les clients. "Cela peut permettre de redéfinir l'avantage concurrentiel des entreprises, explique Rodolphe Durand. Celles qui intègrent des enjeux sociaux et environnementaux peuvent se démarquer des entreprises qui ne recherchent que le profit".
Un modèle déjà exploité avec succès par quelques entreprises, à l'image de la Camif qui a fait de la RSE le coeur de son modèle. "L'attitude du consommateur est à étudier pour voir comment il s'inscrit dans un tel projet. Il faut trouver son avantage concurrentiel en tant qu'entreprise : comment, par exemple, les clients peuvent s'inscrire dans la stratégie sociale et environnementale", précise le professeur de stratégie.
"Si on met trop de contraintes sur les entreprises à mission, on est obligé de parier sur l'enclenchement d'un cercle vertueux en espérant que le marché - les clients et les actionnaires - le plébiscite", abonde Alain Bloch pour qui "la dictature du profit à court terme doit prendre en compte la pérennité de l'entreprise".
L'entre-deux de la pérennité
Un débat qui l'amène à regretter que le gouvernement n'ait pas commencé par aborder la question de la pérennité. Là où le profit divise au sein même de l'entreprise, le projet, lui, est censé unir l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise. "On aurait aimé aller plus loin en abordant la question de la pérennité des entreprises, pour éviter les risques juridiques qu'amène la réflexion sur l'objet social", précise-t-il.
La méthode, si elle n'oppose pas profit et projet, aurait l'avantage d'atteindre une situation de croissance en y intégrant des objectifs sociaux et environnementaux. Selon l'entrepreneur, il est essentiel de "donner un horizon à long terme dans la gouvernance d'une organisation" et d'éviter d'imposer un statut uniquement régit par la question du profit ou du non-profit.
Par opposition avec la notion de profit à court terme, l'objectif de pérennité s'inscrit dans un temps forcément plus long et répond à des enjeux de gouvernance et de gestion des entreprises. "Aujourd'hui, le texte n'oblige personne à s'en saisir. C'est assez peu courageux, fait savoir Alain Bloch qui rappelle que "l'objectif de pérennité dans la gouvernance des entreprises est à la fois efficace sur le plan économique et environnemental".
Un cocktail mêlant performance, attraction auprès des investisseurs et résilience qui répond aussi à une volonté de rendre les entreprises plus solides face aux soubresauts de l'économie et de la finance mondiale. "La pérennité a des effets positifs dans un environnement délicat et indécis. Il faut espérer que les entreprises qui feront ce choix puissent surmonter plus facilement les crises", ajoute Rodolphe Durand.