Les entreprises profitent-elles de l'inflation ?
Publié par Mallory Lalanne le - mis à jour à
Plombées par la crise énergétique, les entreprises reconstituent une partie de leurs marges depuis fin 2022 et augmentent leurs prix. Certains secteurs ont-ils profité plus que d'autres de cette poussée inflationniste ? Explications.
La dynamique actuelle de l'inflation, qui repose sur une hausse durable du niveau général des prix, ne concerne plus seulement les prix de l'énergie. En mars, les tarifs des produits alimentaires ont augmenté de 15,9 %, selon les prévisions du cabinet Xerfi publiées en avril 2023.
L'augmentation des prix dans les services est désormais élevée (autour de 3 %), tout comme celle des produits manufacturés (proche de 5 %) soutenue par le renchérissement des coûts de production observé depuis le second semestre 2021. Même si la situation du côté des matières premières s'apaise, les boucles qui entretiennent le phénomène inflationniste ont eu le temps de se mettre progressivement en place.
La hausse des prix passe de secteurs en secteurs. « On est assez proche du pic, mais nous allons rester en 2023 sur un plateau élevé, car l'inflation change de support et de nature. Après l'énergie et les produits manufacturés, viendront les services, à savoir les loyers, les transports, la communication, le coiffeur, qui représentent 50 % des dépenses des ménages », analyse Denis Ferrand, directeur général de l'institut Rexecode.
Cette inflation a été accélérée en début d'année par effet de rattrapage. Le comportement des entreprises a en effet connu deux phases distinctes. En 2022, elles ont d'abord subi les hausses de coûts sur leur marge. Depuis le début d'année, elles contribuent en revanche à l'inflation, précipitant l'augmentation des prix.
La hausse des coûts de production (renchérissement des matières premières et de l'énergie, raréfaction de la main-d'oeuvre) ayant forcé les sociétés à augmenter leurs grilles tarifaires. « Sur l'agroalimentaire, il y a eu une hausse de 15 % du prix de production entre 2021 et 2022, ce qui contraint les entreprises à appliquer des hausses de prix afin de sauvegarder leurs marges », donne en exemple Denis Ferrand.
Des progressions de marge. Plusieurs secteurs, comme l'agroalimentaire, l'énergie et les services de transport ont été pointés du doigt. « Les marges ont globalement reculé, mais ont pu progresser plutôt pour de grandes entreprises, dans certains secteurs comme l'agroalimentaire. Toutes les sociétés n'en ont pas profité de façon équivalente. Certains groupes du CAC 40 qui disposent d'un fort pricing power (à savoir qui augmentent leurs prix sans que la demande ne recule) ont enregistré une augmentation de leur marge », constate Denis Ferrand. D'autres entreprises, parce qu'elles ont un positionnement haut de gamme ou technologique et qu'elles s'adressent à un segment de clientèle peu impacté par la crise, pourraient sortir gagnantes de cette poussée inflationniste.
Certains industriels auraient par ailleurs eu la tentation d'avoir recours à la "shrinkflation" : cette technique consistant à réduire la portion d'un produit sans en changer l'emballage. Si la pratique est légale, à condition de respecter quelques règles en matière d'affichage du poids et du prix au kilo, elle n'est pas "généralisée", selon la DGCCRF (direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes). « C'est une pratique risquée car elle peut impacter négativement l'image des marques et des produits, mais elle peut s'entendre dans des phases inflationnistes lorsque les structures de coûts augmentent », commente Olivier Dauvers, journaliste spécialisé sur la consommation.
Des dispositifs anti-inflation. D'autres secteurs d'activité comme l'alimentaire, le bricolage, l'électroménager ou l'ameublement ont mis en place des dispositifs anti-inflation. « Toutes les enseignes sont dans la construction de leur image prix pour rassurer les consommateurs et les inciter à ne pas retarder leur décision d'achat », explique Olivier Dauvers.
Le distributeur de meubles et objets Maisons du monde, qui a vu son bénéfice net divisé par plus de deux en 2022, à 34 millions d'euros, contre 79 millions d'euros en 2021, a annoncé début avril une vaste opération de baisse de prix durable sur près de 140 meubles de sa collection (sur une totalité de 18 000 références). Une annonce qui intervient après une première phase de réduction des prix opérée en automne sur une soixantaine de produits. « Après avoir augmenté à deux reprises les tarifs en 2022, sans toutefois répercuter l'entièreté des augmentations sur les clients, le choix s'est porté pour cette seconde phase de baisse des prix, sur les objets les plus onéreux pour l'aménagement de la maison. Nous avons besoin de faire un effort sur le secteur meuble, là où il y a une plus grande attente, car c'est ici que la hausse des prix est la plus forte », précise Pierre Barbe, responsable communication de l'enseigne.
L'inflation en chiffres
15,9 %. Après avoir progressé de 14,8 % en février, les prix de l'alimentaire ont encore grimpé de 15,9 % en mars d'après l'Insee. Bercy prévoit que cette tendance se poursuivra au moins jusqu'à la fin de l'été.
7,2 %. Avec un taux d'inflation de 7,2 % début 2023, la France reste en dessous du niveau de la zone euro (8,5 % en février 2023 après 9,1 % en août 2022). Dans certains petits pays européens, l'inflation atteint 20 %.
4,4 %. Après avoir atteint le niveau record de 5,9 % en décembre 2022, l'inflation reviendrait à 4,4 % fin 2023, ce qui reste historiquement haut depuis l'adoption de l'euro.
1 %. Les projections de référence pour la croissance en 2023 ont été révisées à la hausse, à 1 % en moyenne, en raison du recul des prix de l'énergie et d'une meilleure résistance de l'économie à un environnement international difficile.